Lawrence Rothman, entre virilité et féminité
Lawrence Rothman, entre virilité et féminité
Par Stéphane Davet
Le chanteur américain laisse s’exprimer, dans l’album « The Book of Law », ses différentes personnalités. Sans se perdre dans cette schizophrénie musicale.
Kevin un des neuf personnages de Lawrence Rothman. / Floria Sigismondi
Pas facile de cerner un artiste qui a neuf personnalités. Dans l’hôtel du 9e arrondissement de Paris où nous le rencontrons, Lawrence Rothman apparaît en Orion, dandy détaché au costume cintré, aux chaussures de couleurs vives et à la coupe de cheveux glam rock. Mais il aurait aussi pu se glisser dans la peau de la diva Elizabeth, du voyou Aleister, du blond alien Nantucket, de Kevin, roux au visage tatoué, ou d’un autre de ses neuf alter ego peuplant son album, The Book of Law. Pour son premier disque, l’Américain de 35 ans prend des airs de Cindy Sherman pop.
Le parti pris n’aurait pu être qu’un gimmick créatif permettant de croiser avec élégance funk pailleté, synth-pop mélancolique, crooning soul et folk existentiel. En réalité, il s’ancre plus profondément dans l’histoire du chanteur. « Quand j’ai sérieusement commencé à écrire des chansons, vers l’âge de 21-22 ans, je me suis aperçu qu’en me mettant au piano ou à la guitare, une partie de moi s’imposait de manière différente pour chaque morceau », explique Rothman de sa voix grave. « J’ai fini par classer ces chansons en les associant à tel ou tel personnage. Une façon aussi de mettre en forme cette fluidité de la personnalité et des genres que je ressens depuis l’enfance ».
Depuis l’adolescence, le garçon brouille les pistes entre virilité et féminité. Une attitude difficile à assumer dans l’ambiance ultra-conservatrice de sa banlieue natale de Saint-Louis, Missouri. « Au collège, j’étais souvent pris à partie et maltraité », confie celui qui vit aujourd’hui dans le quartier bohème de Laurel Canyon, à Los Angeles. J’avais peu d’amis, mais je me réfugiais dans la musique. » Encouragé par les audaces de Prince et l’héritage de David Bowie – « qui effaçaient la frontière entre masculin et féminin » – Lawrence passe des heures dans la cave familiale, à bricoler avec des instruments et du vieux matériel d’enregistrement récupéré par son père, concierge dans une station de radio. S’identifiant au spleen déchirant de Kurt Cobain, l’apprenti artiste s’égosille dans une ribambelle de groupes punk, sacrifiant une voix dont il a cultivé la large tessiture dans une chorale de quartier. Ce timbre profond, Lawrence Rothman ne le valorisera véritablement que quand il se mettra à écrire des chansons en phase avec sa vie et ses multiples personnalités.
Truman, un des neuf personnages de Lawrence Rothman. / Floria Sigismondi
D’autres pourraient se perdre dans cette schizophrénie musicale. « Je gère mieux cela depuis que j’ai découvert la méditation transcendantale, en 2012, grâce à la David Lynch Foundation, qui m’a permis de suivre un séminaire gratuitement. » Si deux méditations de quinze minutes l’apaisent quotidiennement, ce premier album est aussi le fruit de grands tourments. « Il a été enregistré pendant une longue période de dépression », confie-t-il. Mon père rejetait qui j’étais et l’artiste que je devenais. J’ai réécrit tous les textes des chansons pour rester au plus près de ces angoisses. »
Loin de n’être qu’une longue plainte, The Book of Law fait danser la mélancolie aux rythmes classieux de ses fascinations soul, pop et R’n’B. Grâce, en particulier, à un étonnant casting rassemblant des musiciens aussi divers que le bassiste virtuose Pino Palladino, le Guns N’Roses Duff McKagan, l’icône noise-rock Kim Gordon (ex-Sonic Youth) ou de jeunes figures de la scène « indie » telles Stella Mozgawa (Warpaint) ou Angel Olsen. Une mosaïque de talents raccord avec cette identité fragmentée.
« The Book of Law », de Lawrence Rothman, Downtown/Interscope Records.