Le rédacteur en chef de Marvel s’était inventé un double japonais
Le rédacteur en chef de Marvel s’était inventé un double japonais
C. B. Cebulski s’est fait passer pendant plus d’un an pour « Akira Yoshida », afin de pouvoir écrire des scénarios de comics – ce qui lui était interdit en tant que responsable éditorial de Marvel.
C. B. Cebulski, en avril 2011. / Luigi Novi / CC BY 3.0
Le Japonais Akira Yoshida a écrit plusieurs aventures officielles mettant en scène des héros de comic-books comme Wolverine, Thor ou encore Conan. Et pourtant, Akira Yoshida n’a jamais existé. Les rumeurs couraient depuis 2005, mais ont été confirmées, mardi 28 novembre, par le principal intéressé : C. B. Cebulski, fraîchement nommé rédacteur en chef de l’éditeur Marvel, a reconnu dans les colonnes du site Bleeding Cool avoir inventé cette identité au début des années 2000.
A l’époque, il faisait partie des nombreux éditeurs officiant chez Marvel, chargés de coordonner les créations de contenus et de faire le lien entre les différents métiers du comics. Sa plume le démangeait, mais les règles de Marvel interdisaient alors aux employés de l’entreprise d’écrire ou de dessiner des comics, afin d’éviter certains conflits d’intérêt.
C’est donc sous une fausse identité, celle d’Akira Yoshida, que C. B. Cebulski décide d’envoyer des scénarios à d’autres maisons d’édition de comics. Et avec succès. L’éditeur Dark Horse lui propose de travailler sur Conan, et Dreamwave sur Darkstalkers. Une expérience tellement concluante qu’Akira Yoshida s’attirera les attentions… de Marvel, qui lui propose d’écrire des scénarios. Akira Yoshida accepte, et se retrouve à écrire pour des licences aussi prestigieuses que les X-Men ou Thor.
Un passé inventé
Ses scénarios se déroulent régulièrement au Japon et mettent en scène des arts martiaux, à une époque où Marvel, déjà critiqué pour le manque de diversité de ses auteurs, commence timidement à réfléchir à la question.
C. B. Cebulski se prend tellement au jeu qu’il accorde même une interview à CBR, un site spécialisé dans les comics, dans lequel il invente une histoire à son double fictif. « Yoshida a grandi au Japon en lisant des mangas. Comme son père était un commercial qui travaillait à l’international, il a passé une partie de son enfance aux Etats-Unis, où il a appris l’anglais en lisant des comics de super-héros », écrit le site.
Akira Yoshida publie des histoires entre 2004 et 2006, et les rumeurs commencent à circuler dès cette époque. Le blogueur Brian Cronin, qui vérifie régulièrement les rumeurs liées à l’univers des comics, s’empare de la question en 2005. « Quand j’ai entendu celle-là, je me suis dit qu’elle serait assez facile à démonter. Mais quand j’ai découvert que plusieurs responsables éditoriaux avec qui il avait travaillé ne lui avaient jamais parlé, je dois admettre que cette théorie absurde ne m’a plus semblé si absurde », écrivait-il à l’époque.
En continuant à interroger des employés de Marvel, il recueille le témoignage de Mike Marts, qui affirme avoir déjeuné avec Akira Yoshida, « un mec très sympa » – il s’avérera plus tard qu’il y avait eu confusion avec un autre Japonais, traducteur… Le verdict tombe : la théorie est estampillée « fausse » sur le blog.
Ce qui ne suffira pas à faire taire les rumeurs. En 2006, le journaliste de Bleeding Cool Rich Johnston demande même à C. B. Cebulski s’il se cache derrière le pseudonyme d’Akira Yoshida. « Il avait entendu la rumeur et l’avait niée, écrit le journaliste, en me disant qu’Akira Yoshida était une vraie personne et que ses multiples visites dans les bureaux et à des conventions le confirmaient. Il a promis des photos, mais aucune n’est jamais arrivée. »
« J’étais jeune et naïf »
L’affaire finit par s’apaiser quand Akira cesse de publier. Une dizaine d’années plus tard, pourtant, les spéculations reviennent, relancées par le podcast, cet été, d’un ancien employé de Marvel, qui conte une histoire similaire, sans citer de nom. Le journaliste de Bleeding Cool Rich Johnston revient à la charge, alors que C. B. Cebulski vient d’être nommé rédacteur en chef de Marvel courant novembre. Cette fois, celui-ci révèle la vérité :
« J’ai arrêté d’écrire sous le pseudonyme d’Akira Yoshida au bout d’un an environ. Ce n’était pas franc, mais cela m’a beaucoup appris sur l’écriture, la communication et la pression. J’étais jeune et naïf et j’avais encore beaucoup à apprendre. Mais tout ça, c’est de vieilles histoires, ça a été réglé, et maintenant en tant que nouveau rédacteur en chef de Marvel, j’ouvre une nouvelle page et je suis enthousiaste à l’idée de commencer à partager toute mon expérience chez Marvel avec les talents actuels et futurs du monde entier. »
C. B. Cebulski a « réglé » le problème en informant Marvel, qui n’a pas décidé de le sanctionner. En revanche, une fois révélée, l’affaire a fait grincer quelques dents. Plusieurs remarques sur les réseaux sociaux ou dans la presse ont estimé, comme le site Gizmodo, que ces révélations rendaient une partie de son travail de scénariste « pratiquement raciste ».
Le chroniqueur Seanbaby s’est par exemple indigné, auprès de ses 40 000 abonnés Twitter, du pseudonyme choisi par C. B. Cebulski : « Donc un scénariste blanc de Marvel était un faux scénariste japonais nommé Akira Yoshida ? C’est le nom de l’anime le plus populaire couplé au nom de famille du X-Man japonais. C’est comme si vous vous nommiez Cheeseburger Schwarzenegger. » Certains ont estimé après coup qu’il avait écrit « des comics ultra-stéréotypés inspirés de la culture japonaise ». D’autres, comme Rich Johnston, ont préféré souligner le raté de Marvel, qui avait selon lui embauché Akira Yoshida « pour apporter un authentique regard japonais ».