Des maires aménageurs plutôt que bâtisseurs
Des maires aménageurs plutôt que bâtisseurs
Par Jean-Pierre Gonguet
Bâtir en favorisant la mixité sociale est l’objectif d’élus franciliens.
Depuis près de dix ans, Jérémie Lenoir photographie des paysages contemporains. Il s’est particulièrement intéressé aux modifications des frontières ville-campagne à travers son projet « Marges ». Ci-contre, « Chantier, Achères », 2012. / Jérémie Lenoir
Le maire bâtisseur n’existe presque plus, le maire aménageur l’aura bientôt remplacé. « Un maire bâtisseur, pour nos concitoyens, c’est un bétonneur. Ils n’ont pas tort. L’obsession du seul immobilier et des quotas légaux de logements sociaux peut déséquilibrer socialement une ville. Aujourd’hui, un maire doit avoir un véritable projet à dix ans, et penser la mixité sociale comme la qualité de vie, avant même de parler immobilier. » Pour Jean-Didier Berger, maire LR de Clamart (Hauts-de-Seine), un « maire a tous les outils en main pour aménager et penser sa ville. Il lui suffit juste d’un peu de courage ».
Infographie Le Monde
L’avenir de Clamart se joue sur une question : comment réorganiser une commune de 52 000 habitants autour de la gare de la future ligne 15 du Grand Paris Express ? Clamart est une ville de pavillons et de logement social. Entre les deux, rien ou pas grand-chose. « Il faut arrêter de penser que plus on fait du logement social, plus on protège les gens, explique ce bon connaisseur des questions foncières. C’est l’inverse : plus on en fait, plus on favorise la pénurie de logements privés, et donc plus les loyers du locatif privé explosent. Nous créons alors des trappes à pauvreté avec des travailleurs qui ne trouvent pas de social, car les habitants qui bénéficient de ces logements n’en partent pas, bien qu’ils ne remplissent plus les conditions de revenu. Les travailleurs qui devraient en revanche y avoir droit vont donc se ruiner dans un privé trop cher. »
Parcours résidentiels
L’économiste Thomas Grjebine explique depuis longtemps que la mixité sociale est un problème essentiel. Mais contrairement aux idées reçues, il ne considère pas qu’il y a pénurie de logement social. « Lorsque les prix grimpent, ceux qui ne sont pas “assez pauvres” pour bénéficier du social, ni assez riches pour aller dans le privé ou accéder à la propriété, restent “à la porte du logement” », analyse-t-il. La Fondation Abbé-Pierre estime qu’ils sont 800 000 dans ce cas. Cela ne signifie en aucun cas qu’il manque 800 000 logements. Mais que, faute de logements intermédiaires, le social est embouteillé, les gens ne pouvant en sortir, tout se bloque et les parcours résidentiels ne peuvent se faire. »
Bruno Beschizza, le maire LR d’Aulnay-sous-Bois, rencontre le même type de problème dans sa commune de Seine-Saint-Denis, pourtant économiquement bien différente de celle de Clamart. La ligne 15 arrive et la mairie a 360 hectares à sa disposition, dont les 180 de friches dus à la fermeture de l’usine de PSA Aulnay, il y a trois ans, pour relancer la machine urbaine. Une superficie deux fois plus grande que la Défense.
Aulnay-sous-Bois a 36 % de logements sociaux et 8 000 économiquement favorisés (CSP +) dont près de 300 paient l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Comme à Clamart, peu de logements intermédiaires. Un redécoupage et un réaménagement intelligent autour de la gare de la ligne 15 et des friches pourrait convenir à toutes les classes sociales.
Quelles que soient les configurations politiques, économiques et sociales, la mixité, donc l’aménagement attractif d’une ville, est peut-être en train de devenir la question essentielle.
« Triangle d’or »
Ainsi, à Bagneux (Hauts-de-Seine), Marie-Hélène Amiable, maire communiste, souhaiterait diminuer le taux de logements sociaux de 66 % à 50 %. La zone de la Pierre-Plate, à rénover totalement, est particulièrement visée. Elle veut profiter des deux futures stations de la ligne 4, qui vont mettre Bagneux à quelques minutes de Montparnasse et des Halles, pour « gentrifier » sa ville, devenue fort désirable pour les jeunes couples primo-accédants. Elle souhaite néanmoins éviter les excès de cette « mixité sociale à rebours ». Chaque jour, des promoteurs proposeraient ainsi des sommes folles aux habitants des 450 pavillons situés en face de l’une des deux futures gares de la ligne 4. « Nous appelons cette zone le “triangle d’or” ». Cela ne peut pas être un projet politique de laisser faire ce marché ! »
André Santini, le très médiatique maire d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), l’a compris, depuis trente-sept ans qu’il exerce ce mandat. Il a quasiment reconstruit sa ville. Les sièges sociaux de grands groupes continuent d’affluer. En moins d’une semaine, en novembre, il a encore annoncé l’arrivée de Cap Gemini, Orange, Icade, et Nestlé Waters. Une bagatelle de 38 000 emplois pour classes intermédiaires et autres « bobos argentés » que ce maire centriste, qui rêve de « refaire Manhattan », aimerait bien voir venir vivre dans sa commune. « Je construis donc des logements intermédiaires avec au moins 30 % de social : un ensemble où 90 logements sociaux côtoient 120 logements à 13 000 euros le mètre carré. »
« Population fragile »
Cette mixité sociale devrait aussi prévaloir dans le quartier Léon-Blum, « le plus misérable de la ville », bientôt desservi par une gare du Grand Paris Express. André Santini le reconstruit tout en y relogeant les 100 familles qui y vivent. « On y parvient, mais il faut nous laisser faire : si le préfet m’avait demandé, par exemple, de prendre des gens de toute l’Ile-de-France dans le quartier rénové, cela n’aurait jamais marché. Les habitants, même pauvres, doivent y être relogés pour que le chantier soit accepté », explique-t-il.
Reste que certains maires ne sont pas dans une situation aussi favorable. Ainsi en est-il de Françoise Lecoufle, élue en 2014 à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne). Son prédécesseur « avait construit en moins de quatre ans entre 2 500 et 3 000 logements et amené 8 000 à 10 000 personnes dans la ville, sans jamais avoir prévu les équipements publics nécessaires. En outre, de nombreux logements ont été vendus avec des crédits qui n’auraient peut-être pas dû être accordés à une population fragile financièrement. Ici la population a augmenté de 30 %, ce qui est invraisemblable », explique-t-elle.
A peine élue, Françoise Lecoufle a donc bloqué un plan de 1 200 logements et reconduit les promoteurs à la porte de la ville. Elle se retrouve quand même avec « deux grands ensembles comptant 50 à 70 % de logements sociaux. Dans cette configuration, il est impossible de faire de la mixité sociale à l’envers », ajoute-t-elle. Surtout à Limeil-Brévannes, zone blanche en matière de transports, où le maire précédent a vendu tous les terrains pour des immeubles et où il faut trouver des mètres carrés pour toutes les écoles à construire.
Ce supplément est réalisé en partenariat avec l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif).