En Afrique du Sud, comment l’ANC choisit son futur président
En Afrique du Sud, comment l’ANC choisit son futur président
Par Adrien Barbier (Johannesburg, correspondance)
Deux candidats sont donnés favoris dans cette course à la succession du parti de Jacob Zuma qui termine son deuxième mandat.
Du samedi 16 au mercredi 20 décembre, le Congrès national africain (ANC), plus vieux parti politique d’Afrique, se réunit en congrès pour élire son nouveau président. Cruciale et déterminante, c’est l’élection qui compte en Afrique du Sud, puisque le chef du parti au pouvoir mènera la bataille aux prochaines élections générales de 2019. Le futur président de l’ANC a donc toutes les chances d’incarner le nouveau visage de la nation arc-en-ciel et de succéder à Jacob Zuma, qui termine son deuxième mandat.
Le parti fracturé de Nelson Mandela
Plus fracturé que jamais, le parti de Nelson Mandela s’est transformé en véritable champ de bataille. Les deux mandats de Jacob Zuma ont été une succession presque ininterrompue de scandales de corruption, qui ont divisé ses pairs et torpillé l’alliance tripartite, formée avec le Parti communiste et les syndicalistes de la Cosatu, qui l’a porté au pouvoir. Les marchés et les investisseurs guettent l’issue du scrutin avec appréhension, alors que la mauvaise santé économique du pays est largement attribuée à l’incompétence du gouvernement.
Deux candidats sont donnés favoris depuis plusieurs mois dans cette course à la succession. D’un côté, le vice-président Cyril Ramaphosa, 65 ans, incarne l’aile sociale-démocrate. Il emporte la préférence des milieux d’affaires et des centres urbains. Cet ancien syndicaliste devenu entrepreneur à millions promet de s’attaquer à la corruption et mène la fronde anti-Zuma. En face, Nkosazana Dlamini-Zuma, l’ex-femme du président, est la garante de la continuité : plusieurs fois ministre, ancienne présidente de la Commission de l’Union africaine (2012-2017). Ses adversaires la suspectent d’avoir promis l’immunité judiciaire à son ex-époux. Elle est soutenue par la Ligue des femmes, la Ligue des jeunes, et les bastions de Zuma dans les zones rurales.
Une élection indirecte
Bien loin d’une primaire par laquelle le chef du parti est directement désigné par les militants, le mode de scrutin interne à l’ANC est unique en son genre. Sur cinq jours, 5 240 délégués sont conviés pour participer aux travaux et aux votes de la 54e conférence nationale de l’ANC, organisée au Centre des expositions de Johannesburg (Nasrec). Au-delà du président, toute l’équipe dirigeante du parti sera renouvelée, ainsi que le Comité exécutif national, qui compte plus de 80 membres.
Les délégués représentent plus de 3 000 fédérations locales, dans lesquelles se répartissent plus de 1,3 million de militants. Ces derniers mois, les fédérations se sont rassemblées par province pour désigner leurs candidats préférés aux différents postes. Selon un décompte officieux, Cyril Ramaphosa a été « nominé » par 1 862 fédérations dans les 9 provinces que compte l’Afrique du Sud. De son côté, Nkosazana Dlamini-Zuma a engrangé 1 330 nominations dans 5 provinces.
Pour l’instant, aucun autre candidat n’est nominé. Toutefois, à l’ouverture de la conférence, d’autres membres du parti peuvent faire acte de candidature s’ils sont soutenus par au moins 25 % des délégués, lors d’un vote à main levée.
« L’ANC n’a jamais été trop portée sur l’idée d’avoir une compétition ouverte. Dans le passé, ils ont toujours préféré préserver l’unité du parti. Cette fois, on a vu plusieurs personnalités se porter candidates au poste de président et engranger des soutiens. La conférence s’annonce complexe et difficile, tout peut arriver », estime l’analyste politique Judith February.
Avantage Ramaphosa
Porté par le vote des fédérations, Cyril Ramaphosa arrive en position de force. En réalité, rien n’est joué : les délégués, qui votent à bulletin secret, ne sont pas tenus de choisir le candidat soutenu par leur fédération. En outre, les fédérations n’ont pas toutes le même poids et envoient plus ou moins de délégués. Ainsi, Mme Dlamini-Zuma est en tête dans le Kwazulu-Natal, le bastion de son ex-mari, qui envoie le plus fort contingent de délégués.
Enfin, 10 % des votants sont composés de représentants des Ligues des femmes, des jeunes et des anciens combattants du parti, auxquels s’ajoutent les membres du Comité exécutif national et ceux des comités exécutifs provinciaux. Une incertitude qui ouvre la voie au lobbying de dernière minute, à l’achat de votes et aux promesses de postes. Ces pratiques ont été constatées lors des précédentes conférences.
Ces derniers jours, le vice-président capitalise néanmoins sur son élan pour durcir sa rhétorique contre Jacob Zuma. Le candidat a ainsi ressorti une affaire de viol, dont Zuma a été accusé puis innocenté avant d’être élu président, et soutenu la version de la jeune femme. Il a aussi rejeté la proposition faite par Jacob Zuma de nommer en tant que futur numéro deux de l’ANC le candidat qui finirait deuxième de la course. Ce projet présenté au nom de la sauvegarde de l’unité du parti pourrait en effet permettre à Mme Dlamini-Zuma de conserver quoi qu’il advienne un rôle de poids au sein de l’ANC.
« Cyril Ramaphosa n’a pas le choix : il va devoir se démarquer au maximum de Zuma et donner un grand coup de balai pour endiguer l’hémorragie de l’électorat qui s’est considérablement réduit ces dernières années, comme l’ont monté les élections locales de 2016. Sans cela, il ne sera pas crédible », précise Judith February.
Motion de défiance
Inspirée du système de Westminster, l’Afrique du Sud dispose d’un régime parlementaire dans lequel le président n’est pas élu au suffrage universel direct, mais par les députés au Parlement. Théoriquement, le mandat de Jacob Zuma court jusqu’aux prochaines élections de 2019. Mais celui-ci pourrait quitter le pouvoir dès début 2018, en fonction du vainqueur, poussé à la démission ou même mis en défiance par le comité exécutif. Le prédécesseur de M. Zuma, Thabo Mbeki, a ainsi dû quitter le pouvoir sept mois avant la fin de son mandat, suite à une motion de défiance interne.
« Quel que soit le nouveau chef de l’ANC, il aura intérêt à ce que Zuma se retire le plus vite possible, afin de ranimer le parti et l’économie blafarde en vue des élections de 2019 », estime l’analyste politique Daniel Silke. Le gagnant aura pour mission de désamorcer la désaffection de l’électorat, au risque de voir l’ANC perdre la majorité au Parlement, voire le pouvoir pour la première fois depuis la fin de l’apartheid.