La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
Au menu cette semaine : l’adaptation poignante de deux récits de Marguerite Duras signée Emmanuelle Finkiel, l’affaire des « Pentagon Papers » vue par Steven Spielberg et une rétrospective dédiée à Paulo Rocha, figure du cinéma novo portugais.
« La Douleur » : un film majeur sur l’Occupation
LA DOULEUR Bande Annonce
Durée : 01:59
Quand est paru le livre La Douleur, au printemps 1985, le feuilletoniste littéraire de ce journal, Bertrand Poirot-Delpech, fut frappé par la « violence glaçante » de ces textes, une violence qui tenait à l’écriture de Marguerite Duras, mais aussi à l’assurance de véracité dont celle-ci avait accompagné la publication de l’ouvrage.
Le scénario de Finkiel combine les deux premiers textes du livre de Duras : le premier, intitulé La Douleur, est le récit de l’attente du retour de Robert Antelme, le mari de l’écrivaine, arrêté et déporté juste avant la Libération ; le second, Monsieur X. dit ici Pierre Rabier raconte le commerce forcé qu’entretint Duras avec un agent français de la Gestapo, dans l’espoir d’obtenir des informations sur le sort de son mari.
Ce matériau compact, qui semblait impossible à travailler, s’est déployé pour devenir un film d’une beauté un peu sévère, d’une délicatesse qui rend justement accessible la « violence glacée ». Cette voix si reconnaissable qu’on entendait à chaque page du livre est devenue celle d’une autre – la Marguerite qu’incarne, avec une puissance jusqu’ici insoupçonnée, Mélanie Thierry. Thomas Sotinel
« La douleur », film français d’Emmanuel Finkiel, avec Mélanie Thierry, Benoît Magimel, Benjamin Biolay, Grégoire Leprince-Ringuet (2 h 06).
« Pentagon Papers » : l’honneur journalistique par Spielberg
The Post Official Film Trailer - Streep, Hanks, Spielberg
Durée : 02:27
Depuis presque une décennie, Steven Spielberg semble avoir amorcé un voyage dans l’histoire du cinéma américain, ici le film journalistique que le cinéaste aborde sur son versant classique et populiste.
Encore jamais adapté au cinéma et précédant l’affaire du Watergate, les « Pentagon Papers » est le nom donné à un dossier classé secret-défense publié au tournant des années 1970 dans le Washington Post, qui n’était alors qu’un petit journal rêvant de devenir grand. Contenant trente ans de mensonges étatiques et des informations cruciales sur l’implication des Etats-Unis pendant la guerre du Vietnam, leur divulgation au peuple américain achèvera de détériorer le soutien de l’opinion publique à l’interventionnisme américain.
Cette histoire, que le film recentre sur une décision à prendre – faut-il ou non publier le scoop –, rencontre très naturellement le revirement classique du cinéaste. Cet épisode crucial de l’histoire de la presse américaine nous est conté d’abord à travers l’itinéraire de la directrice du Post, Katharine Graham, propulsée à la tête du journal après la mort de son père et le suicide de son mari. Toute la force émotionnelle de Pentagon Papers consiste à faire du film journalistique un écrin au splendide portrait de femme qui surgit silencieusement de l’arrière-plan et à sa lente conversion à ce mouvement euphorique du journalisme qui n’est autre que celui de la démocratie. Murielle Joudet
« Pentagon Papers », film américain de Steven Spielberg. Avec Meryl Streep, Tom Hanks (1 h 55).
« Douchet » : rencontre avec le Socrate de la critique cinéma
Jean Douchet, l'enfant agité : bande-annonce
Durée : 01:34
C’est une splendide sentence connue des cinéphiles : « Quiconque n’a jamais vu un film de Mizoguchi, que l’on ne va passer qu’une seule fois, et ne sacrifie pas cette projection à un bon repas, n’aimera jamais Mizoguchi. » Cette formule, on la doit à Jean Douchet, sans que l’on puisse affirmer l’avoir vraiment entendue de sa bouche.
C’est désormais chose faite grâce à ce documentaire. Le portrait d’un homme aujourd’hui âgé de 89 ans que leurs auteurs nous présentent ainsi : « Critique qui a peu écrit, cinéaste sans film, professeur qui ne fait pas cours, père sans enfants. » Si les questions qu’on lui pose peuvent parfois sembler impudiques, les réponses sont d’une sagesse subversive. Ce sont celles d’un homme qui rejette l’amour et la conjugalité car, en grand renoirien, Douchet a repoussé toute sa vie le concept de propriété pour lui en préférer un autre.
« Plus ça va, plus je suis persuadé que l’Univers est mouvement. Tout est perpétuel mouvement, perpétuelle création, perpétuels renouvellement et destruction. Et ça, c’est la vie. Il faut accepter la vie et refuser l’attachement. » Une conception qui lui sert aussi à définir l’art comme « ce qui développe la capacité à entrer dans le mouvement ». Pour Douchet, ce mouvement vital est un absolu esthétique et une morale de grand vivant. M. J.
« Jean Douchet, l’enfant agité », documentaire français de Fabien Hagège, Guillaume Namur, Vincent Hasseer (1 h 26).
« Paulo Rocha » : l’âpre poésie du Cinéma novo portugais
Os Verdes Anos (1963) #Intro
Durée : 05:34
On la rattrape un peu par les cheveux, du moins reste-t-il une bonne dizaine de jours pour découvrir, à travers la rétrospective du Portugais Paulo Rocha à la Cinémathèque française, une œuvre majeure du cinéma mondial.
Assistant de Jean Renoir et de Manoel de Oliveira, Rocha est un des maîtres du Cinema novo portugais. Sa carrière compte peu de titres, mais elle est riche d’une sensualité tellurique, d’une poésie qui semble sourdre des lieux et de la relation que tissent les hommes avec eux. Féru de culture japonaise, admirateur du cinéaste Shohei Imamura et de l’écrivain Wenceslau de Moraes, auxquels il a consacré de remarquables documentaires, il signe, du côté d’une fiction qu’il ne séparait pas vraiment du réel, des titres âpres et enchanteurs, tantôt minéraux, tantôt aquatiques. Les Vertes années (1963), Changer de vie (1965), ses deux premiers longs-métrages, mais encore Le Fleuve d’or (1998) et La Racine du cœur (1999), sont des titres à découvrir en priorité. Jacques Mandelbaum
A la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris-12e. Jusqu’au 1er février.