Françoise Nyssen offre une vitrine aux artistes migrants
Françoise Nyssen offre une vitrine aux artistes migrants
Par Emmanuelle Jardonnet
La ministre de la culture accueille au Palais-Royal une exposition d’œuvres sur l’exil d’artistes réfugiés en France.
« Certains y verront les traits d’un geste militant. Mais ce devrait être un geste ordinaire. Cela doit rester un geste ordinaire », assure Françoise Nyssen. La ministre de la culture inaugurait lundi 29 janvier « Les Vitrines de L’Atelier des artistes en exil », une exposition qui fait suite à son appel au monde culturel à agir en faveur des migrants, formulé à Nantes le 17 janvier. Le ministère a invité quinze artistes récemment réfugiés en France à occuper ses vitrines donnant sur les jardins du Palais-Royal. De tous horizons et disciplines, tous sont soutenus par une même structure d’accompagnement : L’Atelier des artistes en exil (AA-E), ouvert à l’été 2017 dans le 18e arrondissement.
Pour la ministre, il s’agit de « faire vivre la liberté de création et la liberté d’expression dans notre pays, coûte que coûte ». Elle met en avant « les engagements extraordinaires des militants de la culture », en l’occurrence celui de Judith de Paule et d’Ariel Cypel, les fondateurs de cette jeune structure associative. « La culture en France ne connaît pas de frontières », affirme-telle. Un message qui détonne dans le contexte du projet de loi immigration et de la réforme du droit d’asile annoncée par le gouvernement : « Je suis là pour dire aux artistes, pour dire aux associations, aux institutions, aux citoyens qui s’engagent pour faire vivre les arts et la culture – et ils sont nombreux : continuez ! Continuez d’offrir une voix à ceux qui n’en ont pas ; continuez de ménager un espace pour l’inaudible, pour l’inconnu, pour l’indicible ; continuez d’élargir nos regards, d’ouvrir notre culture ; continuez de nous bousculer. »
Armure et Chevalière
La sélection des artistes exposés rue de Valois a été faite « en fonction de leur engagement politique dans leur œuvre et ce qu’ils ont à dire sur l’exil. Dans un endroit si symbolique, il y a un message à faire entendre sur les raisons de l’exil ou sur l’exil lui-même », explique Judith de Paule.
En 2015, l’Afghane Kubra Khademi avait défilé dans les rues de Kaboul en portant une massive armure en métal aux attributs féminins pour dénoncer le statut bafoué des femmes. Une performance féministe qui lui avait valu d’être condamnée à mort. L’armure est exposée ici, et la jeune femme, aujourd’hui âgée de 28 ans et étudiante à Paris-I, a été faite Chevalière des arts et lettres.
Abdul Saboor, 25 ans, arrivé en France il y a trois mois, aborde, lui, l’exil dans une veine documentaire. Le jeune photographe, afghan lui aussi, a immortalisé son propre périple : la route des Balkans. Soit deux années et de nombreux obstacles pour traverser l’Europe. « Je me suis donné pour mission d’aider les migrants en faisant connaître leur sort, et je suis heureux de cette initiative du ministère de la culture français, cela peut aider à changer l’image des migrants, à lutter contre l’indifférence, et ça nous donne du courage », confie-t-il.
La question du regard sur les migrants est aussi au cœur de Sans-papiers, texte coup de poing de l’auteur soudanais Mohamed Nour Wana, 35 ans, placardé sur la palissade en bois qui fait face aux vitrines. « J’écris pour dire et décrire l’histoire de la migration forcée », explique-t-il, tandis que son poème convoque des destins et dilemmes terrifiants. « Continuez à écrire : pour vous, et pour nous », lui glisse Françoise Nyssen.
« Frères d’expérience »
Quête de visibilité et de dignité aussi chez le photographe Mohamed Abakar, 27 ans, qui a fui le Darfour, avec une série de portraits de ses « frères d’expérience » : les réfugiés posent à découvert à côté de sculptures cachées, emballées pour l’hiver dans les jardins du Château de Versailles. « Obtenir un statut est un si long parcours. Les voilà ainsi drapés d’un aberrant dilemme : vivre là-bas leur est désormais impossible, vivre ici ne leur est pas reconnu. Pourtant, dans leur épreuve et leur anonymat, ce sont des êtres humains », résume-il.
« Derrière un réfugié, il y a toute une histoire. Jamais je n’avais pensé qu’un jour je serais aussi un réfugié », dit le sculpteur Carlos Lutangu, qui a fui la République démocratique du Congo par la Libye et la Méditerranée, et fête ce jour-là ses 28 ans. Il présente notamment un Penseur, un autoportrait reprenant la forme d’un masque Kongo, sa tribu d’origine, qui a été sa première œuvre réalisée à l’AA-E : « L’arrivée dans un nouveau pays, dans une nouvelle culture, pose beaucoup de questions. Qu’allais-je devenir ? Cette tête entre mes mains, ce sont mes angoisses, mes inquiétudes pour ma famille restée au pays. »
Les formes se font plus abstraites et symboliques dans les Tableaux-histoires du Soudanais Mohamed Abdulatief, 27 ans, ou les délicates sculptures en métal de l’Iranien Mehdi Yarmohammadi, 38 ans. Plus crues chez la peintre iranienne Hura Mirshekari, 32 ans, qui dénonce la situation des femmes dans la province du Sistan-et-Balouchistan, à la frontière de l’Afghanistan. Dans sa vitrine, les pieds de deux femmes sont en suspens : « C’est un cri de protestation contre les exécutions et le viol. » Exécutions devenues « banales sous couvert de la loi islamique », dénonce-t-elle.
« Deux lieux uniques au monde »
« L’Atelier des artistes en exil est une idée brillante. Avec la Maison des journalistes, ce sont deux lieux uniques au monde et totalement français », se réjouit Moneim Rahama, 57 ans. Arrêté pour ses positions politiques en 2011, torturé et condamné à mort, ce journaliste et écrivain soudanais avait été relâché grâce à une campagne de soutien internationale, et a reçu en France en 2015 le Prix Pen international pour la liberté d’expression. Son poème collé à la palissade, intitulé Colère, évoque les difficultés administratives de l’exil : « Qui sont ces gens qui continuent d’humilier l’Homme ? », peut-on y lire.
Avec sa série Debout !, le sculpteur syrien Khaled Dawwa, 32 ans, condamne l’immobilisme des observateurs : on y voit des personnages bouffis à la fois léthargiques et en décomposition d’être restés trop longtemps assis dans un fauteuil. Ils semblent ici regarder d’autres corps, ceux de l’œuvre intitulée Ils se dispersent dans le silence, qui forment un magma humain disparaissant dans le sol.
Le ministère va signer une convention de subvention avec l’AA-E, qui devrait couvrir environ un quart de ses besoins, tandis que la structure, hébergée par un promoteur immobilier mécène, doit lancer cette semaine une campagne de crowdfunding pour répondre aux besoins en matériel de ses quelque 200 artistes membres. « Nous sommes dans notre rôle : on se doit d’être dans la curiosité, je l’assume pleinement, on fait ce que l’on doit faire », assure la ministre. Elle recommande aux jeunes, en particulier, de venir découvrir l’exposition. Quid des membres du gouvernement ? « Bien sûr que l’on va les inviter », glisse-t-elle dans un sourire.
« Les Vitrines de L’Atelier des artistes en exil », jusqu’au 30 mars au 5, rue Valois, Paris 1er. Entrée libre. L’Atelier des artistes en exil prévoit des journées portes ouvertes en mars.