A Bruxelles, l’avocat de Salah Abdeslam minimise le rôle de son client
A Bruxelles, l’avocat de Salah Abdeslam minimise le rôle de son client
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
L’avocat vedette du barreau de Bruxelles a joué de tous les arguments, traqué toutes les failles de l’instruction, usé du moindre détail à son profit.
Sven Mary, l’avocat de Salah Abdeslam, à Bruxelles, le 8 février. / THIERRY ROGE / AFP
Fidèle à la stratégie des grands pénalistes, Sven Mary a transformé, jeudi 8 février, une question que tous se posaient en un argument. Allait-il plaider pour Salah Abdeslam au dernier jour du procès qui lui était intenté pour la fusillade de la rue du Dries, en mars 2016, à Forest, alors que son client contestait la légitimité même de tribunal correctionnel de Bruxelles ? Le survivant du commando de Paris, le fuyard de la planque de Forest disait, lundi, ne reconnaître qu’Allah comme seul juge.
Alors, plaider ? Oui, bien sûr. Même pour ce terroriste qui serait, dit l’avocat, une sorte de « stoïcien, acceptant de l’au-delà ce qu’on ne lui a pas encore infligé ». Plaider, parce que « le plus beau pied de nez, le doigt d’honneur » à adresser aux adversaires de l’Etat de droit, c’est de respecter la procédure juridique. Et, sur ce terrain, l’avocat vedette du barreau de Bruxelles a joué de tous les arguments, traqué toutes les failles de l’instruction, usé du moindre détail à son profit. Jusqu’à presque effacer du procès la pâle figure du Molenbeekois radicalisé.
Abdeslam absent
Pour cette dernière journée d’audience, Salah Abdeslam était absent. Au sens littéral, il avait refusé d’être présent, comme figuré, son avocat a finalement très peu parlé de lui, se disant même satisfait qu’il ne puisse, cette fois, « s’accaparer le prétoire ». Me Mary a aussi nié avoir préparé l’intervention d’Abdeslam, lundi, et s’est dit « gêné » par le fait « grave » que son client ait refusé de se lever devant la présidente du tribunal.
Me Mary a donc, pendant près de trois heures, focalisé l’attention sur une fusillade qu’il a habilement découplée de la chaîne des événements dans laquelle elle se place à l’évidence : les attentats de Paris en novembre 2015, ceux de Bruxelles le 22 mars 2016, quatre jours après l’arrestation d’Abdeslam à Molenbeek. « Vous n’êtes pas là pour juger de ces attentats. Le seul a priori que doit avoir le tribunal, c’est celui de l’innocence de Salah Abdeslam », assénait Me Mary, invitant les magistrats à ne pas « se laisser polluer » par tout ce qu’ils avaient vu, lu, entendu sur les événements dont son client fut un acteur clé.
D’autant, argumentait-il au début de sa plaidoirie, qu’il convient peut-être d’écarter des débats tous les actes de procédure à cause d’une raison bien belge : celle de l’emploi des langues. A grand renfort de textes, le pénaliste a fait valoir que la désignation, comme premier responsable de l’instruction, d’un juge du tribunal néerlandophone de Bruxelles, lequel a ensuite délégué l’enquête à des juges francophones, est un vice de procédure. Le tribunal devra vraisemblablement répondre à cet argument.
« Lacunes d’une instruction »
Il convenait ensuite, pour Me Mary, de mettre le doigt sur ce qu’il estime être les lacunes d’une instruction orientée et sur la finalité même de ce procès. « Il aurait dû avoir lieu après le procès d’assises qui aura lieu à Paris, et pas avant », affirme-t-il. Ensuite, point par point, il s’est évertué à démontrer que son client n’avait pas tiré sur les policiers arrivant rue du Dries – le procureur fédéral ne le dément pas sur ce point – ou que le contexte de cette fusillade n’était pas terroriste, histoire d’espérer limiter la peine de vingt ans à laquelle pourrait être condamné Salah Abdeslam.
La défense de Sofiane Ayari, le Tunisien qui a fui la rue du Dries avec son complice, devait, elle aussi, tenter d’atténuer le rôle probable de celui que le ministère public décrit comme un combattant de l’Etat islamique, arrivé de Syrie à Bruxelles via la Grèce et l’Allemagne pour renforcer la cellule belge. Sa trace a été retrouvée dans diverses planques, on l’a aussi repéré à Amsterdam le 13 novembre 2015, préparant peut-être un attentat, finalement annulé, à l’aéroport de Schiphol.
Pour les avocats, il convenait de donner une autre image de cet ancien étudiant, marqué par le printemps arabe. Il est défendu par sa famille, qui a envoyé une lettre à la présidente du tribunal belge. Elle y implore la compassion pour ce fils qui n’aurait pas pu puiser ses convictions radicales dans ce milieu qui se dit populaire et tolérant, « ami des juifs et des chrétiens ».
« Pornographie médiatique »
Isa Gultaslar s’est longuement employé à démontrer que son client ne voulait rien d’autre que fuir quand la police est arrivée rue du Dries. Ni lui ni Abdeslam ne voulaient « faire un grand carnage ». Ayari ne voulait pas non plus mourir ou se placer dans la lignée des djihadistes désireux de mourir les armes à la main pour gagner le paradis.
Dénonçant à la fois le procès « en sorcellerie » dressé par le procureur fédéral, la « pornographie médiatique » marquant ces journées et « le mantra de l’état de guerre » visant à déroger aux principes habituels du droit, l’avocat ambitionnait, lui aussi, de gommer l’infraction terroriste. Et donc les raisons de sa présence avec les membres d’un groupe qui, comme l’écrivait Salah Abdeslam à sa sœur, visait prioritairement à « terroriser le peuple mécréant », à savoir « les Français qui combattent l’islam depuis longtemps ». Le prévenu tunisien affirme qu’il comptait seulement sur son groupe d’amis pour regagner non pas son pays, mais… la Syrie.
Son jugement et celui de son complice interviendront à une date qui n’est encore pas déterminée.