Pourquoi la France s’est retirée de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire
Pourquoi la France s’est retirée de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire
Par Laurence Caramel
L’initiative lancée en 2012 pour soutenir l’agriculture africaine est accusée de favoriser les multinationales et l’accaparement des terres.
La France a annoncé son retrait de la Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (Nasan) à l’occasion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid), organisé jeudi 8 février à Matignon. Cette initiative, lancée lors du sommet du G8 de Camp David (Etats-Unis) en 2012, affiche pour ambition de faire reculer la faim en Afrique et de « sortir 50 millions de personnes de la pauvreté d’ici 2022 » en drainant des investissements privés dans le secteur agricole grâce à des dispositifs réglementaires attractifs et le soutien des bailleurs étrangers. D’importantes multinationales comme Cargill, Monsanto, Louis Dreyfus, Mars… sont associées à cette coalition dont le secrétariat est officiellement assuré par le Forum économique mondial et l’Union africaine.
Aucune réunion n’a cependant été organisée depuis 2016 et plus de cinq ans après son lancement, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Du moins pour le gouvernement français, qui était coordonnateur de ce « nouveau modèle agricole » au Burkina Faso, l’un des dix pays du continent membre de la Nasan. Le communiqué ministériel ne s’étend pas sur les raisons de ce retrait, mais annonce que « la France renforcera son appui à l’agriculture familiale à travers une intensification agro-écologique ». Exit donc officiellement la promotion de grands projets agro-industriels comme solution au déficit alimentaire. « L’approche de cette initiative est trop idéologique et il existe un véritable risque d’accaparement de terres au détriment des petits paysans », justifie un fonctionnaire du ministère des affaires étrangères proche du dossier.
Sentiment d’injustice
Marie-Cécile Thirion, responsable de la division développement rural à l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), admet également que « la Nouvelle Alliance est une occasion ratée qui a été trop rapidement montée. Elle n’a pas spécialement promu de nouveaux investissements vertueux et elle n’a pas su empêcher les mauvais ».
L’évaluation indépendante de l’expérience burkinabée réalisée par des chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) aura certainement fini de convaincre les autorités françaises qu’il était temps de prendre ses distances. Les conclusions du rapport, financé par l’AFD – auquel Le Monde Afrique a eu accès –, sont en effet peu clémentes : « La Nasan au Burkina Faso est l’histoire d’une initiative politique ayant suscité beaucoup d’espoirs et de désillusions chez certains acteurs, des craintes et des critiques chez d’autres. Portée au plus haut niveau politique lors de son lancement, elle s’est rapidement essoufflée faute, en particulier, d’appropriation. (…) Les entreprises internationales, tant attendues en particulier par les pouvoirs publics, et les entreprises nationales ne sont pas venues. »
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L’étude s’attarde en particulier sur le projet de Bagré, à 200 km au sud-est de le capitale burkinabée, Ouagadougou. « Les mesures prises pour libérer des terres pour les investisseurs à venir ont profondément bouleversé les pratiques de sécurisation et de consommation alimentaire. (…) Lorsque les populations recevront des terres irriguées [le projet prévoit d’aménager 30 000 ha et d’en attribuer 5 000 aux villageois], il leur faudra vivre sans terres pluviales, alors que les cultures pluviales sont la base de vie des ménages. La situation des exploitants familiaux est aujourd’hui très tendue par rapport aux conditions offertes aux agriculteurs entrepreneuriaux, engendrant un fort sentiment d’injustice », écrivent les experts du Cirad.
« Aucun avantage fiscal »
Le secrétaire permanent de la Confédération paysanne du Burkina Faso, Issoufou Porgo, décrit également un système défavorable aux petits paysans : « La Nouvelle alliance ne nous accorde aucun avantage fiscal contrairement par exemple à des entreprises qui reçoivent des terres pour des cultures d’exportation. En quoi cela améliore-t-il la sécurité alimentaire du pays ? Les petites exploitations qui assurent 40 % de la consommation de riz ont pourtant démontré qu’elles savent produire. »
D’autres exemples mis en lumière par les ONG ont permis de documenter d’autres échecs. Ainsi, en Côte d’Ivoire, pour développer la production de riz, le gouvernement a encouragé de grandes entreprises du négoce des matières premières comme Export Trading Group (ETG) à passer contrat avec des centaines de petits paysans.
« Le contrat stipule que la multinationale fournira des semences, des intrants, de l’outillage, des conseils techniques qui ne seront facturés qu’au moment de la livraison de la récolte, explique Maureen Jorand du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre solidaire). Mais quand, pour des raisons notamment liées aux retards dans la livraison de ces services, les paysans ne sont pas en mesure de fournir autant de riz que prévu, les entreprises ont la possibilité d’hypothéquer les terres. »
« Décision courageuse du gouvernement »
La Nouvelle Alliance suscite depuis l’origine de multiples critiques des ONG. Accusée de favoriser les géants du négoce de matières premières et les leaders du secteur semencier, de priver les Etats africains de recettes fiscales en attirant les investisseurs à coups d’exonération de taxes, de mettre en péril les droits fonciers des paysans et, finalement, de ne pas améliorer la situation des populations rurales les plus pauvres. Action contre la faim (ACF), Oxfam et le CCFD-Terre solidaire qui en France mènent campagne pour l’abandon de ce projet ont donc salué la « décision courageuse du gouvernement ». « C’est un geste important. Les autres membres du G8 doivent faire de même », plaide Peggy Pascal, d’ACF. L’Allemagne et le Royaume-Uni sont en train de mener leurs propres évualuations. De son côté, l’Union africaine qui devait seule prendre en charge le pilotage de l’initiative semble avoir du mal à assurer sa fonction. Aucune réunion n’a été organisée depuis 2016.
Les parlementaires européens, eux, avaient déjà tranché en votant une résolution le 7 juin 2016 demandant de cesser tout nouveau soutien à la Nasan avant d’en faire une évaluation. Les élus déploraient notamment le manque de consultation des sociétés civiles africaines avant le lancement de cette initiative. Ils mettaient en garde contre « le danger de vouloir répliquer en Afrique le modèle de la “révolution verte asiatique” des années 1960 en ignorant ses impacts sociaux et environnementaux ». Reste donc une question qui, jusqu’à présent, n’a pas trouvé de réponse : comment attirer massivement de « bons » investissements pour moderniser l’agriculture africaine dont les rendements céréaliers sont deux fois plus faibles que la moyenne mondiale et lui donner les moyens de nourrir une population qui devrait doubler d’ici 2050 ?