La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi, dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
Porté par le duo d’acteurs Daniel Day Lewis-Vicky Krieps, Phantom Thread, le huitième film de Paul Thomas Anderson, est un pur chef-d’œuvre. Un film palestinien, un Marvel et un documentaire vietnamien figurent également au menu de notre liste hebdomadaire.
LIAISON OURLÉE : « Phantom Thread », de Paul Thomas Anderson
Phantom Thread / Bande-annonce officielle VOST [Au cinéma le 14 février]
Durée : 02:31
Le huitième long-métrage de Paul Thomas Anderson se situe quelques années après la fin du Blitz. Reynolds Woodcock, couturier réputé, vit et travaille dans une belle maison de l’Ouest londonien. Chaque matin, il prend son breakfast en compagnie de sa conquête du moment et de Cyril (Lesley Manville), sa sœur, qu’il appelle affectueusement « my old so and so » (« ma vieille machine »), pendant que les employées de la maison Woodcock gravissent l’escalier de service jusqu’à l’atelier.
Cyril, femme austère toujours vêtue de sombre, est à la fois l’intendante et la directrice des ressources humaines d’une entreprise dont la raison sociale serait : « l’existence d’un homme ». Celui-ci s’éprend, dans une auberge, d’une jeune serveuse à la beauté irrégulière, au léger accent germanique, Alma, et se lance dans une cour effrénée, à laquelle elle répond sans se laisser désarmer.
Il aurait été impossible de parvenir à ce degré de complexité, à cette infinité de nuances, sans le duo d’acteurs Daniel Day Lewis-Vicky Krieps. Reynolds Woodcock est une création éblouissante, un enfant blessé et un ogre, un créateur prodigue de son art et un amant avare de son désir. Vicky Krieps donne à la figure d’Alma l’audace d’un jeune général d’Empire, la fragilité d’une orpheline dickensienne. Thomas Sotinel
« Phantom Thread », film américain de Paul Thomas Anderson, avec Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps, Lesley Manville (2 h 10).
SACRÉE FAMILLE À NAZARETH : « Wajib », d’Annemarie Jacir
Wajib / Wajib - L'Invitation au mariage (2018) - Trailer (French Subs)
Durée : 01:49
Abu Shadi, professeur divorcé à Nazareth, proche de la retraite, marie sa fille. Son ex-femme, exilée de longue date aux Etats-Unis, subordonne sa venue à l’état de santé de son mari. Rentré pour l’occasion de Rome, où il est devenu architecte, son fils, Shadi, le revoit après une longue absence.
Ensemble, ils rendent visite aux nombreux invités de la cérémonie pour leur remettre en main propre, comme le veut la coutume du « wajib », le faire-part. Situation idéale pour sceller des retrouvailles aimantes et orageuses à la fois, prendre une température politique glaciale (Nazareth, en Galilée, est la plus grande ville arabe d’Israël) par le biais chaleureux de la fable, documenter la fiction en choisissant à la ville un tandem d’acteurs consistant, comme à la scène, en un père et un fils, en l’occurrence Mohammad et Saleh Bakri, les plus célèbres acteurs palestiniens d’Israël.
Après Le Sel de la mer en 2008 et When I Saw You en 2012, Wajib poursuit l’exploration filmique du destin palestinien, en un mantra artistique tenaillé par la question de l’exil et de l’impossible retour. Après la colère et la révolte contenues dans les deux premiers titres, une tonalité nouvelle, qui les assourdit sans les annuler, enrobe ce troisième long-métrage : la douceur et l’humour. Jacques Mandelbaum
« Wajib », film palestinien d’Annemarie Jacir. Avec Mohammad Bakri, Saleh Bakri, Maria Zreik, Rana Alamuddin (1 h 36).
SUPERHÉROS AFRICAIN : « Black Panther », de Ryan Coogler
BLACK PANTHER Nouvelle Bande Annonce VF ✩ Superhéros Marvel (2018)
Durée : 02:26
Il n’est pas besoin d’apprécier l’univers Marvel, cet entrelacs de personnages et de marques déposées, pour aimer Black Panther. Né en 1967 (quelques semaines avant la fondation du mouvement des Black Panthers) de l’imagination de deux auteurs de comics blancs, Stan Lee et Jack Kirby, ce superhéros africain apparaît, dans le beau film de Ryan Coogler, comme un être de légende et de tragédie, plutôt que comme un produit de confection. Ce qui ne veut pas dire que les millions d’amateurs d’Avengers ou de Spider-Man se sentiront floués.
Avec Creed, deuxième long-métrage du jeune metteur en scène (il est né en 1986), Ryan Coogler s’était approprié la légende de Rocky Balboa sans la dénaturer. Cette fois, il respecte les rites inhérents au culte du superhéros tout en les propulsant dans une autre dimension, poétique et politique.
Depuis des temps immémoriaux, le roi du Wakanda reçoit, quand il monte sur le trône, des pouvoirs surhumains qui font de lui, quand le besoin s’en fait sentir, un guerrier quasiment invincible, Black Panther. T’Challa vient de succéder à son père assassiné par un terroriste international, épisode relaté dans Captain America : Civil War. En un peu plus de deux heures, le jeune roi affrontera plus d’épreuves qu’Hamlet et Winston Churchill réunis. T. S.
« Black Panther », film américain de Ryan Coogler, avec Chadwick Boseman, Lupita Nyong’o, Michael B. Harris, Daniel Kaluuya, Forest Whitaker, Martin Freeman (2 h 14).
JOURNAL INTIME : « Finding Phong », de Tran Phuong Thao et Swann Dubus
FINDING PHONG Bande Annonce (2018) Adolescent, Documentaire
Durée : 02:10
Phong, jeune Vietnamien devenu étranger à son corps d’homme, entreprend de devenir une femme, réalité plus accordée à l’image qu’il se fait de lui-même, à son désir profond.
Tran Phuong Thao et Swann Dubus, tandem franco-vietnamien de réalisateurs, installé et travaillant au Vietnam, saisit la balle au bond et entreprend, de son côté, de documenter ce processus, délicat s’il en est. Le film, outre qu’il remplit sa fonction d’ouverture pédagogique aux phénomènes les plus divers du vaste monde, porte témoignage d’une approche sensible et pénétrante, très éloignée du sensationnalisme ou de la complaisance qu’un tel sujet pourrait occasionner.
La belle idée des réalisateurs aura consisté à prêter, en un premier temps, une caméra à Phong, pour lui permettre d’exprimer sans intermédiaire son malaise et son désir, et aussi, sans doute, pour mieux le connaître. A la suite de quoi les réalisateurs l’ont eux-mêmes filmé.
Finding Phong commence donc à la manière d’un journal intime, puis se poursuit à la manière d’un documentaire plus classique. Le film monté a conservé la trace de cette méthode, qui se révèle riche de sens, faisant basculer le film, en même temps que le personnage, du désir contrarié et malheureux à l’éprouvante mais émouvante épreuve d’une réalité enfin accordée à ce désir. J. M.
« Finding Phong », documentaire vietnamien de Tran Phuong Thao et Swann Dubus (1 h 30).