Bamanakan, songhaï, tamashek… les langues nationales peinent à s’imposer dans les écoles maliennes
Bamanakan, songhaï, tamashek... les langues nationales peinent à s’imposer dans les écoles maliennes
Par Bokar Sangaré (contributeur Le Monde Afrique, Bamako)
La classe africaine (26). L’Etat a fait le choix d’utiliser plusieurs langues dans l’enseignement primaire, mais les partisans du français restent nombreux.
Ecole fondamentale Mamadou-Kounta de Kalabancoro, une commune de Bamako. Elève de première année, Sekou, 7 ans, écrit une phrase au tableau : « Karamɔgɔ nana an lajɛ » (« le maître est venu nous rendre visite »). C’est du bamanakan (bambara), l’une des langues nationales du Mali. « Il faut enseigner aux enfants dans nos langues, ça facilite la compréhension », estime Diarra Fatoumata Sountoura, 26 ans, qui enseigne aux 69 enfants de cette classe. En deuxième année, sa collègue lit avec ses élèves un texte en français, avant de basculer à la lecture en bamanakan. Le français, langue officielle du pays, occupe 25 % du temps scolaire en deuxième année.
Depuis plus de trente ans, le Mali a opté pour l’enseignement dans les langues nationales pour sauver de l’échec le système éducatif. Malgré un taux de scolarisation brut estimé à 80 % selon les autorités, les élèves sont en butte à des difficultés de compréhension et de lecture. L’Etat malien aura beau injecter 37 % de son budget 2018 dans l’éducation, ces efforts seront plombés par une forte démographie.
« Tâtonnement pédagogique »
« Depuis la réforme de l’éducation en 1962, deux ans après l’indépendance, il était prévu de se passer du français, rappelle l’universitaire Alhassane Gaoukoye, qui a soutenu en 2014 une thèse sur l’enseignement dans les lycées publics et privés de Bamako. Puis on a fini par accepter le français, jugé plus unificateur. »
En 1978, le régime de Moussa Traoré crée quelques écoles expérimentales en bamanakan, avant l’introduction définitive, en 1993, d’une langue autre que le français dans l’éducation primaire. Enfin, l’utilisation des langues maternelles sera consacrée par le Programme décennal pour l’éducation (1998-2008), qui verra treize langues (dont le bamanakan, le fulfuldé, le songhaï ou le tamashek) accéder au statut de langue nationale.
Kinani Ag-Gadeila est directeur de l’enseignement fondamental. Pour lui, les différents programmes visant à enseigner dans les langues nationales, notamment les projets SIRA (pour Selected Integrated Reading Activity), financé par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), et Elan, qui bénéficie d’un appui de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), répondent à la volonté du Mali de développer le bilinguisme dans le système éducatif. Pour Youssouf Mohamed Haïdara, linguiste et cadre de l’éducation nationale travaillant pour le programme SIRA, « il fallait introduire la langue maternelle que l’enfant comprend pour réduire la déperdition scolaire ».
« Si l’enfant a de solides acquis dans sa langue, il fait le transfert naturellement vers le français », explique Sylvaine von Mende, spécialiste en pédagogie au projet SIRA, qui n’utilise que le bamanakan, contre quatre langues pour Elan. Ces programmes se fondent sur l’approche équilibrée, qui consiste à apprendre à lire et à écrire aux enfants en se basant sur des aspects ludiques. D’aucuns parlent de « tâtonnement pédagogique », car, parallèlement à l’approche équilibrée, la méthode syllabique reste de mise dans les écoles.
« Résistance de l’élite francophone »
De fait, ces programmes n’ont pas que des partisans, y compris dans les milieux enseignants. « Cette méthode nous met en retard, c’est un gâchis ! Si c’était intéressant, ceux qui soutiennent ces programmes n’enverraient pas leurs enfants dans les écoles privées », déplore une directrice d’école publique qui a souhaité garder l’anonymat. Pour l’écrivain Ismaïla Samba Traoré, directeur de La Sahélienne, qui édite des livres en bamanakan, « il y a un désaveu des parents et des enseignants parce que les enfants des acteurs politiques à l’origine de ces programmes ont fait leurs humanités aux Etats-Unis et ailleurs ».
« Les grands cadres n’envoient pas leurs enfants dans ces écoles, confirme l’universitaire Alhassane Gaoukoye. Le bas peuple constate que c’est une innovation mais qu’il y a une discrimination qui ne dit pas son nom. Il y a aussi une résistance de l’élite francophone. » Enfin, le fait que les écoles privées soient tenues à l’écart de ces réformes est mal perçu par certains parents, qui déplorent la qualité de l’enseignement dans les écoles publiques.
« Avant de parler d’élargissement de ces programmes aux écoles privées, il faut d’abord stabiliser cette démarche », tempère Kinani Ag-Gadeila. Selon lui, « un enfant qui a fait l’enseignement classique n’est pas mieux formé qu’un enfant qui a suivi l’approche équilibrée ». Et de préciser, pour lever toute ambiguïté : « On n’enseigne pas la langue, on l’utilise comme médium d’enseignement, concomitamment avec le français. »
Sommaire de notre série La classe africaine
De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.