Rome, Berlin : l’Europe en suspens
Rome, Berlin : l’Europe en suspens
Editorial. Le paysage qui émerge des épisodes électoraux du 4 mars en Italie et en Allemagne est lourd de menaces pour l’Union européenne.
Editorial du « Monde ». Une bonne nouvelle pour l’Europe, venue d’Allemagne, suivie d’une très mauvaise nouvelle, en Italie. La journée du 4 mars, avec le verdict simultané du SPD allemand et de l’électorat italien, aurait pu être fatale à la construction européenne. Mais l’Europe n’est pas sortie de l’ornière pour autant. Si le vote positif des membres du parti de centre gauche allemand sur le contrat de coalition gouvernementale lève un obstacle majeur, il est, malheureusement, assombri par le triomphe des forces populistes et eurosceptiques en Italie.
Le paysage qui émerge de ces épisodes électoraux dans les deux principaux pays, avec la France, de la zone euro, est en effet lourd de menaces. En disant oui à une nouvelle « grande coalition » avec les conservateurs d’Angela Merkel, les sociaux-démocrates allemands ont certes évité le chaos et privilégié la stabilité. Il n’y aura pas de nouvelles élections en Allemagne et Mme Merkel restera chancelière, pour un quatrième mandat. Mais pour quoi faire ?
L’accord entre le SPD et la CDU-CSU promet « un nouvel élan pour l’Europe ». Ambitieux dans ses têtes de chapitre, il est en réalité beaucoup plus prudent dans les détails, ce que confirme le choix des hommes qui seront chargés de le mettre en œuvre. A l’instar du futur ministre des finances et vice-chancelier, Olaf Scholz, un social-démocrate dont les premières déclarations ont surtout rassuré les gardiens de l’héritage de son prédécesseur, Wolfgang Schäuble. Ou de Horst Seehofer, le président de la très conservatrice CSU bavaroise, qui, en tant que ministre de l’intérieur, aura la haute main sur une politique migratoire largement inspirée par son propre parti.
Le volontarisme pro-européen fait désormais figure d’exception
Reste Mme Merkel. Voudra-t-elle impulser cet « élan » ? Ce n’est pas son tempérament mais, pour ce qui sera probablement son dernier mandat, elle peut être tentée de prendre une initiative qui ne soit pas conditionnée par le seul souci de sa réélection. Mais le pourra-t-elle seulement ? On peut, hélas, en douter, dans une Europe où le volontarisme pro-européen d’un Emmanuel Macron fait désormais figure d’exception.
Car le message politique qui émane des urnes italiennes est d’une clarté brutale, même si sa traduction institutionnelle risque de plonger Parlement et gouvernement dans une longue confusion. Après dépouillement de près de 90 % des bulletins de vote, le Mouvement 5 étoiles atteignait, lundi matin, le score historique de 31,9 % des voix. La Ligue (ex-Ligue du Nord), emmenée par l’extrémiste Matteo Salvini, peut compter sur près de 19 %, devançant largement le parti de centre-droit de Silvio Berlusconi, Forza Italia, qui croyait pouvoir jouer les arbitres de cette élection mais n’a reçu l’adhésion que de 13,9 % des suffrages. Si l’on ajoute à ce tableau les 4,3 % du parti d’extrême droite Frères d’Italie, ce sont largement plus de la moitié des électeurs italiens qui ont voté pour des formations antisystème. Le parti démocrate de l’ancien premier ministre Matteo Renzi confirme, lui, la tendance pan-européenne de l’effondrement des partis de centre gauche, avec 18,9 % des voix.
C’est un paysage tristement familier : la France, finalement, n’a échappé en 2017 à une catastrophe comparable que par la grâce du scrutin à deux tours. Les Etats-Unis ont élu Donald Trump en 2016, cinq mois après le vote des électeurs britanniques en faveur du Brexit. L’Italie du 4 mars ne veut pas, elle, sortir de l’Union européenne. Mais elle fera tout pour l’empêcher d’avancer.