La retraite des cheminots, un régime spécial largement déficitaire
La retraite des cheminots, un régime spécial largement déficitaire
Par Jean-Gabriel Fernandez
Le régime de retraite des cheminots leur assure un départ plus tôt et une pension plus confortable que le reste de la population. Mais ce système déséquilibré coûte cher à l’Etat.
Le projet de réforme de la SNCF suscite l’inquiétude des cheminots pour leur avenir. Si le premier ministre, Edouard Philippe, a bien assuré que le projet de loi « n’est pas la réforme des retraites des cheminots », il a aussi annoncé la fin de l’embauche « au statut » des employés de la SNCF. Autrement dit, que les futurs agents ne seront pas sous le statut actuel des cheminots et ne cotiseront pas pour le régime spécial actuellement en vigueur, ce qui signifiera mécaniquement moins de cotisations salariales pour les retraites.
Ce régime spécial dont bénéficient les cheminots est dans le collimateur du gouvernement à cause de son coût élevé. Durant la seule année 2016, les retraites des cheminots ont été déficitaires de 3,3 milliards d’euros, comblés par l’Etat.
Pourquoi ça coûte si cher ?
Ils étaient 260 000 retraités de la SNCF en 2017, un chiffre à rapporter à environ 150 000 personnes actuellement employées par l’entreprise. Ce nombre important est en partie expliqué par l’âge minimum de départ en retraite pour les cheminots : 57 ans pour les agents sédentaires et 52 ans pour les conducteurs. L’âge minimum peut varier jusqu’à deux ans en fonction de l’année de naissance des agents, mais reste très en dessous du minimum de 62 ans en vigueur dans le privé. En 2016, en moyenne, les conducteurs ont pris leur retraite à 53 ans et 5 mois, les autres employés SNCF à 57 ans et 6 mois, contre 62 ans et 5 mois pour les affiliés au régime général.
La pension de retraite des cheminots est également plutôt avantageuse. A taux plein, elle correspond à 75 % du salaire des six derniers mois d’activité (dans le privé, on fait la moyenne des salaires des vingt-cinq meilleures années), auxquels s’ajoutent une grande part des primes. En 2016, la pension directe moyenne versée aux cheminots était de 24 759 euros par an, soit 2 063 euros par mois. Celle-ci est plus confortable que la retraite moyenne en France, qui était de 1 376 euros en 2015, selon le ministère des solidarités et de la santé.
Ce régime spécial, obtenu en 1909, est antérieur à la fondation de la SNCF. Or, il est aujourd’hui incapable de s’autofinancer et est subventionné par l’Etat, au même titre que dix autres régimes spéciaux (marine, mines, transports urbains). Le coût total des prestations de retraite des cheminots en 2016 était de 5,3 milliards d’euros, que les cotisations ne suffisent pas à couvrir. L’Etat a donc versé 3,3 milliards d’euros pour les cheminots à la retraite, soit près de 60 % du budget total dédié cette année-là aux onze régimes spéciaux, dont fait partie la SNCF.
Seuls les « agents du cadre permanent » de la SNCF sont affiliés au régime spécial des cheminots, cotisent et en bénéficient. Ils doivent avoir été embauchés avant leurs 30 ans, posséder toutes les qualifications demandées par l’entreprise et passer une période d’évaluation allant d’un an à deux ans et demi. Pour bénéficier de la retraite à taux plein en 2016, ils devaient également avoir accumulé 163 ou 164 trimestres de service à la SNCF, avec un taux de cotisation de 8,2 %. Dans le privé, le taux de cotisation moyen est aux alentours de 11 % pendant 172 trimestres. Les cheminots ont également une cotisation retraite avantageuse par rapport aux fonctionnaires, qui cotisent à hauteur de 10,56 %.
Il y a en France 17,5 millions d’actifs qui travaillent, contre 14 millions de retraités. C’est-à-dire que 1,3 actif cotise pour chaque personne à la retraite. A la SNCF, où l’on est passé de 303 000 agents en 1970 à 150 000 aujourd’hui, ce ratio est de 0,56. En 2016, on comptait près de deux retraités pour chaque cotisant à la SNCF, et la situation continue de se dégrader. « Le nombre des cotisants baisse régulièrement à la SNCF, de 1,4 % en 2014, 2 % en 2015 et, en prévision, de 1,2 % en 2017 », note la commission chargée d’examiner les régimes de retraite par le Sénat.
Vers une disparition du régime spécial ?
C’était l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron, qui ne cache pas son ambition d’abolir le régime de retraite des cheminots, qu’il qualifiait d’« injuste » l’été dernier lors d’un échange avec des cheminots.
« Je souhaite que l’on puisse avoir au premier semestre 2018 une loi-cadre qui donne le top départ de cette réforme, par exemple au 1er juillet 2018 ou début 2019. (…) Ceux qui étaient à cinq ans de la retraite ne sont pas touchés, les autres ont des droits acquis dans un régime et à partir de ce jour-là basculent vers un régime unique, où un euro cotisé donne lieu aux mêmes droits. »
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement cherche à revenir sur les avantages dont bénéficient les retraités de la SNCF. En 2008, une réforme des régimes spéciaux menée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait déjà entamé le travail. Dans un premier temps, la réforme de 2008 a allongé la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein : de 37 ans et deux trimestres, celle-ci est passée à 41 ans et un trimestre aujourd’hui. Elle continuera d’être relevée d’un trimestre par an jusqu’à atteindre la durée en vigueur pour les assurés du régime général, soit 172 trimestres (43 ans). La réforme des retraites a également instauré une décote et une surcote identiques à celles des fonctionnaires.
En 2011, une nouvelle réforme a touché les retraites des cheminots et remonté l’âge d’ouverture des droits de deux ans. Le taux de cotisation salariale des agents du cadre permanent a également été modifié. Passant de 8,15 % en 2015 à 8,79 % en 2018, ce taux continuera d’augmenter jusqu’à atteindre 10,95 % en 2026.
L’une des conséquences observables est l’augmentation de l’âge moyen de départ à la retraite à la SNCF depuis 2009, une augmentation de trois ans pour les conducteurs et de deux ans et deux mois pour les autres. L’objectif poursuivi par la réforme de 2008 était d’aligner le régime des cheminots sur les règles en vigueur dans la fonction publique. Un objectif partiellement atteint, car les cheminots ont perdu quelques-uns de leurs avantages. La nouvelle réforme de la SNCF pourrait accélérer cette convergence vers le régime général des retraites.