Le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la loi qui succède à l’état d’urgence
Le Conseil constitutionnel valide l’essentiel de la loi qui succède à l’état d’urgence
Par Julia Pascual
Me Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l’homme, déplore « une défaite pour les libertés fondamentales ».
Au moment où des élus de droite réclament le retour de l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel s’est prononcé jeudi 29 mars sur plusieurs dispositions de la loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme (SILT). Ce texte a été adopté le 30 octobre 2017 pour prendre le relais de l’état d’urgence, en vigueur pendant deux ans.
Saisi de quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), soutenues notamment par la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Conseil apporte quelques réserves d’interprétation et censure certaines dispositions, mais sa décision n’est pas de nature à bousculer le texte, qui renforce considérablement les pouvoirs de police administrative, dans le cadre de la prévention du terrorisme. « On peut y voir une défaite pour les libertés fondamentales, a réagi l’avocat de la LDH, Patrice Spinosi. Ces dispositions pourront être utilisées demain par n’importe quel gouvernement moins soucieux des droits des citoyens que celui actuellement au pouvoir. Et ce, avec l’assentiment de la population, satisfaite du tour répressif que prend notre législation. On s’enferme dans la spirale de l’exception, dangereuse en termes de démocratie. »
- Instauration de périmètres de protection
La loi SILT permet aux préfets d’instaurer des périmètres de protection pour une durée d’un mois renouvelable, au sein desquels sont autorisées des palpations, des fouilles de bagages et des visites de véhicules. Cette disposition est la plus utilisée aujourd’hui avec 57 périmètres instaurés depuis cinq mois. Près de la moitié d’entre eux concerne le département du Nord et plus précisément le port de Dunkerque et la gare de Lille Europe, sur l’emprise desquels les périmètres sont reconduits de mois en mois.
Le Conseil a adopté trois réserves d’interprétation : face à la crainte des requérants de voir se généraliser des contrôles au faciès dans ces zones, il rappelle que les vérifications doivent exclure « toute discrimination ». Il se prononce aussi sur la possibilité pour les agents de sécurité privée de procéder à ces vérifications sur la voie publique, en exigeant que ces derniers soient placés sous le contrôle effectif d’officiers de police judiciaire, c’est-à-dire de la force publique. « Il va falloir confronter cela à la réalité pratique, réagit Me Spinosi. Mais on se doute bien qu’on ne va pas mettre un officier de police judiciaire derrière chaque agent de sécurité ». Enfin, le Conseil cherche à éviter le prolongement indéfini des périmètres en précisant que le préfet doit justifier leur renouvellement en établissant « la persistance du risque » d’acte de terrorisme.
- Fermeture de lieux de culte
Le Conseil a validé l’article de la loi SILT qui autorise les préfets à fermer provisoirement des lieux de culte qui abritent des « propos », des « idées » ou des « activités » provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant leur apologie. Trois fermetures ont été décidées depuis le 1er novembre 2017 sur la base de cette disposition, et le Conseil estime qu’elle concilie suffisamment les libertés de conscience et de culte et la prévention des atteintes à l’ordre public.
- Mesures individuelles de contrôle et de surveillance
Trente-quatre personnes faisaient l’objet d’une mesure individuelle de surveillance et de contrôle, d’après les éléments communiqués par l’Assemblée nationale au 23 mars. Le Conseil a déjà exercé son contrôle sur cet outil qui a remplacé les assignations à résidence de l’état d’urgence, dans une version plus souple.
Le Conseil était cette fois saisi d’une disposition particulière d’interdiction de fréquenter certaines personnes. Il a formulé des réserves d’interprétation en exigeant notamment qu’il soit veillé au respect du droit à mener une vie familiale normale et que l’interdiction ne puisse excéder une durée cumulée de douze mois.
- Visites de domicile et saisies
Aux perquisitions administratives de l’état d’urgence ont succédé les visites de domicile, qui doivent désormais être préalablement autorisées par un juge des libertés et de la détention (JLD). Elles peuvent donner lieu à des saisies de matériel informatique pour permettre aux forces de l’ordre d’en exploiter le contenu. Six visites avaient été diligentées au 23 mars par les forces de l’ordre, aucune n’ayant été retoquée par le JLD. Là encore, le Conseil a validé l’essentiel du dispositif dans sa décision du 29 mars.
Tous les articles de la loi SILT ont désormais été soumis au contrôle de constitutionnalité. « On va devoir vivre avec, déplore Me Spinosi. Le Conseil baisse un peu pavillon par rapport au contrôle qu’il a exercé sur l’état d’urgence. Il faut considérer la pression du contexte actuel. » La décision est prise moins d’une semaine après l’attentat de Carcassonne et de Trèbes.