Le mouvement de contestation étudiant se durcit
Le mouvement de contestation étudiant se durcit
Par Camille Stromboni, Caroline Pain, Eric Nunès, Laura Hubert, Séverin Graveleau
Une mobilisation nationale est organisée mardi. Une quinzaine d’universités, sur un total de 70, font l’objet de blocages. Paroles d’étudiants en assemblée générale.
Occupation de l'université de Tolbiac. Ici le 5 avril. / Raphaël Depret / hans lucas
Evacuation policière à l’université Paris-Nanterre, début de mobilisation à Rennes-II et Paris-VIII, déblocage du campus voté en assemblée générale à Tours, poursuite de l’occupation du site de Tolbiac à Paris… Le mouvement étudiant opposé à la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants se poursuit avec de nombreuses fluctuations et se durcit ici ou là.
Mardi matin, une quinzaine d’universités sur 70 restaient touchées par des blocages partiels ou généralisés, principalement en sciences humaines et sociales, soit quelques-unes de plus que la semaine passée. Les violences intervenues dans un amphithéâtre à la faculté de droit de Montpellier le 22 mars ont servi de catalyseur à une mobilisation jusque-là limitée. Sans compter d’autres universités où les actions consistent surtout, pour l’instant, à l’organisation d’assemblées générales, à Evry par exemple.
« Fenêtre de contestation »
Un appel à une mobilisation à l’échelle nationale contre la réforme lancée par certains syndicats de personnels et d’étudiants devait se tenir mardi 10 avril. Celui-ci doit servir à « ancrer durablement la grève sur un maximum de campus », selon la coordination nationale étudiante (CNE), réunie à Nanterre le 7 avril, avec une centaine de représentants étudiants de 35 universités, qui espère une « mobilisation massive ».
A Nancy, Bordeaux, Strasbourg, Nantes ou Paris, des universités voient une partie de leurs bâtiments toujours bloqués par des étudiants. Alors que l’université Jean-Jaurès de Toulouse est toujours entièrement à l’arrêt depuis le 6 mars, de même que Paul-Valéry à Montpellier, deux autres figures de proue traditionnelles des mouvements étudiants s’y ajoutent : Rennes-II et Paris-VIII. Pour cette dernière, l’absence de contestation estudiantine jusque-là s’explique par une « forme de défaitisme d’une partie des étudiants », justifie Amin, rencontré devant l’université de Saint-Denis. La loi a été votée le 15 février, « alors beaucoup d’étudiants pourtant opposés à cette réforme ont pensé que la fenêtre de contestation était passée », fait-il valoir. Une mobilisation dyonisienne d’autant plus difficile à lancer que l’université s’était déjà engagée pour la défense de migrants qui occupent les locaux depuis fin janvier.
Lundi, sur de nombreux campus en grève, les conversations tournaient autour de l’intervention policière du jour, dans un bâtiment de l’université de Nanterre, suivie de l’interpellation de sept personnes sur la trentaine qui s’y étaient introduites. Cette intervention des forces de l’ordre dans le « sanctuaire universitaire », dénoncée largement par les étudiants mobilisés, après des précédents à Bordeaux ou Strasbourg, est utilisée avec une extrême prudence par les présidents d’université craignant le drame, tout en sachant combien cela peut aussi provoquer une « réaction » du corps étudiant et renforcer la mobilisation. Pour autant, au même moment sur les réseaux sociaux, d’autres vidéos circulaient déjà, montrant un face-à-face tendu devant la fac entre CRS et étudiants, cheminots et personnels à Lille.
Bâtiment bloqué sur le site de l’université Grenoble Alpes (UGA), à Saint Martin d'Heres, lundi 9 avril. / JEAN-PIERRE CLATOT / AFP
Débats sur les partiels et une note minimale
Ce qui est considéré comme des « violences policières » est régulièrement au menu des assemblées générales étudiantes. Comme à Tours, où le sujet a ouvert l’AG vendredi, après qu’une manifestation sur la voie publique s’est terminée par une charge des forces de l’ordre. Mais, ici comme ailleurs, c’est la question des partiels à venir qui a occupé les débats. Et a sans doute permis aux étudiants « anti-blocus » de réussir à faire voter la fin de celui-ci.
« On ne veut pas 10/20 à nos partiels, on veut simplement aller passer nos examens », lançait un représentant du syndicat UNI, classé à droite, en référence à une demande récurrente des étudiants mobilisés : que soit accordée au minimum la moyenne à tout le monde aux partiels. Une demande d’ores et déjà rejetée par le gouvernement et par les présidents d’université concernées. « Donne une solution, alors ! », l’interpelle une étudiante dans la foule. « Voter la fin du blocage ! », rétorque-t-il.
A Tolbiac aussi, cette problématique n’a pas manqué d’alimenter les discussions. « Avril 2018 doit être le début d’une lutte prolongée ! », lance un étudiant à la tribune ce lundi 9 avril. Ici on ne discute même plus du blocage des locaux décidé il y a quelques jours pour une durée « illimitée », mais des « moyens d’action pour mobiliser les autres universités ». « La seule chose qui retient encore des étudiants de se mobiliser, c’est la question des partiels. Elle est centrale », commente ainsi Arthur, étudiant en histoire et militant au NPA, opposé à la réforme. Deux heures plus tard, l’AG a voté une motion demandant à la présidence de l’université la suspension des examens prévus la semaine prochaine, ainsi que le blocage des centres d’examen si cette première exigence n’était pas satisfaite.
Le débat a donné l’occasion, et le courage, à quelques étudiants opposés au blocage de prendre la parole, devant un amphithéâtre majoritairement acquis à la cause du mouvement. « Ce 10 ou ce 12 améliorable, on n’y croit pas. Vous allez créer un diplôme kinder surprise », commente ainsi Sarah, en première année de droit au centre René-Cassin (Paris-I), dont l’entrée avait été « bétonnée » par des étudiants le matin même. « Vous parlez de sélection. Dois-je vous rappeler qu’elle se faisait avant par tirage au sort ? Les critères qui vont être utilisés par Parcoursup sont peut-être contestables mais quelqu’un qui est vraiment motivé peut obtenir ce qu’il veut. » Ce à quoi Romane, étudiante en philosophie et science politique, rétorque qu’« être idéologiquement favorable à la méritocratie », c’est oublier que « la France est le pays où l’école républicaine répercute le plus les inégalités sociales de naissance ».
Ici, le débat sur la sélection, largement avancé, ne durera que quelques minutes. Il ne fait que commencer dans d’autres universités. C’est le cas à Evry, où une AG était organisée pour la première fois, vendredi. « Evry n’est pas une université politisée. Beaucoup pensent que ça ne sert à rien de se mobiliser », déplore Quentin, 23 ans, syndiqué à l’UNEF. Une cinquantaine d’étudiants ont assisté à la réunion, dans une ambiance à mille lieues de celle qui anime les campus des universités actuellement perturbées. A titre de comparaison, « lors des mobilisations victorieuses des étudiants et des lycéens contre le CPE en 2006 et contre le projet Devaquet en 1986, ce sont respectivement 50 et 60 universités qui furent touchées par des grèves ponctuelles ou reconductibles », rappelle Hugo Melchior, doctorant en histoire à l’université de Rennes-II, dans une tribune au Monde. Il y pointe surtout les « grands absents » de cette mobilisation et pourtant les « premiers concernés » : les lycéens.