Après la fin d’ETA, « il faut gagner la bataille du récit de ce que fut le groupe terroriste »
Après la fin d’ETA, « il faut gagner la bataille du récit de ce que fut le groupe terroriste »
Dans un tchat avec les internautes, la correspondante du « Monde » en Espagne, Sandrine Morel, a décrypté l’annonce de la dissolution du groupe séparatiste basque.
Un graffiti représentant le logo d’ETA, à Bermeo, dans le Pays basque espagnol, le 23 février. / ANDER GILLENEA / AFP
L’organisation séparatiste basque ETA a annoncé sa dissolution, jeudi 3 mai, après avoir tué plus de 800 personnes depuis 1959, date de sa formation sous la dictature franquiste. Les « ex-militants d’ETA » sont appelés, dans un communiqué, à continuer « par d’autres voies » la lutte pour un Pays basque « réunifié, indépendant, socialiste ». Cette « fin » n’est pas forcément du goût des victimes, qui craignent que les exactions du groupe terroriste soient oubliées. Dans un tchat, la correspondante du « Monde » en Espagne, Sandrine Morel, a répondu aux questions des internautes.
Kate : Bonjour, que change concrètement cette annonce de dissolution ?
Sandrine Morel : Bonjour. En 2011, ETA a déjà annoncé la fin de ses activités armées, et on peut penser que cette annonce ne va pas changer grand-chose concrètement. Néanmoins, le fait qu’ETA disparaisse est une assurance… qu’elle ne reviendra pas. Plus personne ne peut parler ou agir en son nom. D’autre part, elle prévient qu’elle ne sera plus un acteur des débats politiques, qu’elle n’enverra plus de communiqués pour exprimer son point de vue. Sa « tutelle » sur la politique basque disparaît complètement.
Lyon3 : Est-on sûr que la dissolution sera effective ? Et à quand remonte la dernière action du groupe ETA ?
La dissolution a été rendue officielle justement pour qu’il ne puisse pas y avoir de marche arrière et qu’elle soit tout à fait crédible. Ceci dit, il n’est jamais impossible qu’un petit groupe de dissidents irrédentistes décident de reprendre les armes. Simplement, ils ne pourront pas parler au nom d’ETA. Si l’on exclut la mort du gendarme français, Jean-Serge Nérin, en 2010, dans une course-poursuite improvisée, le dernier attentat du groupe ETA remonte à août 2009, à Palma de Majorque. Il a causé la mort de deux gardes civils.
Roger : De combien de membres était composée ETA à son apogée et combien en restait-il avant sa dissolution ?
Des estimations d’experts portent à un millier le nombre de militants actifs sur lesquels ETA a pu compter à son apogée. Avant sa dissolution, les estimations sont de moins d’une vingtaine, voire à peine une dizaine. Combien en France ? Impossible à dire précisément, mais en tout cas pas plus d’une poignée. La coopération entre les deux pays a poussé les étarras à chercher refuge en Amérique latine, au Venezuela notamment. Selon la garde civile, il n’y a plus que six fugitifs d’ETA recherchés par les forces de police dans le monde.
Jim : Faut-il s’attendre à tout un processus de paix et de réconciliation nationale, à l’image du désarmement des FARC en Colombie, ou l’essentiel de ce processus est-il déjà joué ?
Il n’y aura pas un processus de paix et de réconciliation nationale sur le modèle des FARC. La situation est différente. ETA a été vaincue militairement. Elle ne peut rien exiger en échange de sa dissolution. Pour la « réconciliation », il faudra du temps. Des initiatives locales commencent à naître mais il reste encore une méfiance mutuelle entre ceux qui soutenaient ETA et ceux qui en ont souffert. Pour avancer dans le « vivre-ensemble », il faudra sans doute rapprocher les prisonniers : la politique d’éloignement et de dispersion perd son sens avec la dissolution.
Il y a des tentatives de faire rentrer les témoignages de victimes dans les classes. En général, il existe le sentiment en Espagne qu’il faut à présent gagner la « bataille du récit » de ce que fut ETA, ce que signifiait le terrorisme, et c’est là-dessus que veulent se concentrer les autorités espagnoles. Quant au parlement basque, il y existe une commission pour la paix et le vivre-ensemble qui essaie de jeter les bases d’un récit dans lequel chacun se retrouve plus ou moins.
ETA : l’organisation séparatiste basque annonce sa dissolution
Durée : 01:14
Jack : Le premier ministre Mariano Rajoy pourrait-il faire un geste en ce qui concerne les prisonniers ?
Oui, la législation pénitentiaire le lui permet. Il peut mettre fin aux mesures d’exception destinées aux prisonniers pour terrorisme, ce qui permettrait de faire sortir ceux qui sont malades, de donner des permis de sortie ponctuels à ceux qui ont purgé les deux tiers de leur peine, et de rapprocher les prisonniers près de leur famille au Pays basque.
Néanmoins, ces mesures peuvent difficilement être prises en bloc, ne serait-ce que pour ne pas froisser les victimes. Elles doivent aussi dépendre de critères individuels de capacité de réinsertion et de garantie de non-récidive. Il existe des prisonniers plus radicaux que d’autres, même si peu regrettent l’arrêt de la violence.
Enfin, ce geste ne sera pas une amnistie, comme Mariano Rajoy l’a encore répété vendredi 4 mai. Il est peu probable qu’ils sortent de prison avant d’avoir purgé leur peine complète, étant donné la gravité des faits pour lesquels ils sont incarcérés.
Marine : Est-ce la fin de la lutte pour l’indépendance du Pays basque ?
C’est la fin de la lutte violente pour l’indépendance. Le parti de la gauche abertzale (patriote) EH Bildu, dont le coordinateur est l’ancien membre d’ETA Arnaldo Otegi, est un parti indépendantiste, même s’il n’est pas pressé de faire avancer cette lutte pour le moment. Les nationalistes voient l’indépendance comme un objectif à très long terme. Seuls 14 % des Basques se définissent comme indépendantistes, et en cas de référendum seuls 22 % voteraient oui à l’indépendance.
Marie-T : Pouvez-vous indiquer quel est le poids du camp indépendantiste au Pays basque, et celui du camp autonomiste ? Est-ce qu’en matière d’autonomie, des concessions sont imaginables de la part de Madrid ?
Les indépendantistes ont obtenu 21 % des voix aux dernières élections pour le parlement basque et les nationalistes modérés 37 %. Ils demandent plus de concessions de Madrid : la gestion de la politique pénitentiaire et les compétences en matière de sécurité sociale, le paiement des retraites… Ils veulent aussi que Madrid reconnaisse l’existence de la « nation » basque, et à terme avoir le droit d’organiser un référendum sur le modèle de relation avec Madrid, qu’ils veulent bilatérale, de type confédéral.