Simon Landrein

A la rentrée prochaine, Djilali Azaoui aura le choix : intégrer l’University College London, le King’s College ou la London School of Economics. Les trois prestigieuses universités londoniennes lui ont d’ores et déjà réservé une place, en histoire, sous réserve qu’il obtienne la mention « très bien » au bac. Djilali Azaoui est en terminale ES au lycée Lacordaire, à Marseille. Il a une moyenne supérieure à 17/20 et une ambition claire : ses études, c’est dans un parcours d’excellence à l’étranger qu’il veut les inscrire, pas dans une prépa française. « J’ai envie d’étudier, de travailler mais surtout de vivre dans une capitale culturelle, financière et politique qui me transmette une culture et un mode de vie anglo-saxons, qui me fascinent depuis mon plus jeune âge », raconte le jeune homme.

Certes, le montant de la scolarité dans ces universités s’élève à 9 250 livres sterling par an (10 500 euros), auxquels il faut ajouter le coût du logement universitaire de 800 livres par mois (900 euros). « Mais il ne faut pas oublier que ces frais sont à peu près les mêmes que ceux des meilleures écoles de commerce parisiennes », nuance Djilali Azaoui. Le jeune homme fait un autre calcul, sous forme de pari sur l’avenir : l’accès à l’une de ces universités garantissant un travail bien rémunéré, ces études représentent en réalité « un très bon retour sur investissement ». Prestigieux, UCL, King’s et la LSE sont des établissements qui nouent des partenariats avec les plus grandes entreprises et peuvent se prévaloir d’un très puissant réseau d’anciens.

« La prépa, on s’y inscrit par mimétisme »

Pour une poignée d’excellents lycéens, les classes prépa – de tout temps prisées par les meilleurs (42 600 nouveaux élèves en 2017 et 10 000 étudiants supplémentaires au total en dix ans) – ne sont plus qu’un « plan B ». Bien sûr, ils s’y inscrivent par sécurité, validant leur choix jusqu’à la dernière étape sur APB et bientôt sur Parcoursup. Mais ils n’ont d’autre idée en tête que de les éviter. « La prépa, on s’y inscrit par mimétisme », témoigne Johanna Petrot, qui a intégré HEC Montréal aussitôt son bac en poche, au lieu de faire sa rentrée dans la prépa aux écoles de commerce de la région parisienne qui l’avait admise. Le proviseur de son lycée, à Reims, avait bien tenté de la dissuader de partir. Mais pas pour de bonnes raisons, selon la jeune femme : « Il craignait surtout de perdre en prestige car mon lycée était petit et le fait qu’un élève de moins intègre une prépa faisait baisser ses statistiques ».

Marginal mais constant, le phénomène n’est pas comptabilisé précisément par le ministère de l’enseignement supérieur. « On sait qu’en moyenne, 4 000 places de prépas restent vacantes à la rentrée alors que les élèves avaient reçu un oui définitif et avaient dit oui eux-mêmes, indique Claude Boichot, ancien inspecteur général de l’éducation nationale chargé des prépas entre 1994 et 2012. Parmi les élèves manquant à l’appel, plus de 1 000 ont finalement rejoint un IEP, et presque autant un BTS. Mais les autres, on n’en sait rien. »

« Des mythes circulent »

En 2007, bien qu’admis en prépa scientifique PCSI au lycée Henri-IV de Paris, Matthieu Vallin a préféré partir à l’Imperial College de Londres. « Mes amis français pensaient que j’étais fou !, se souvient-il. Il y a dix ans, j’étais un des seuls, mais je vois que c’est beaucoup plus courant aujourd’hui. »

Cette évaporation laisse impassible Jean Bastianelli, le président de l’association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles (APLCPGE) et proviseur du lycée Louis-le-Grand à Paris. « Des mythes circulent, raconte-t-il. Quand je suis arrivé à mon poste il y a trois ans, tout le monde m’a alerté en disant : “Tu verras, l’étranger concurrence les prépas, il n’y a plus que ça qui compte aux yeux des élèves.” Mais ce n’est pas ce que j’ai pu constater en arrivant dans ce lycée : sur 25 élèves de terminale qui avaient fait un dossier pour partir à l’étranger, 20 sont restés à Louis-le-Grand en prépa. » A la rentrée dernière, seulement trois élèves sont partis, dont deux à Londres (à la LSE et à l’Imperial College).

« J’ai rencontré beaucoup d’élèves ayant étudié dans d’excellentes prépas et qui sont déçus de leur école par la suite »

L’Imperial College plutôt que la prépa Fénelon - Sainte-Marie, ce fut aussi le choix de Victor Badoual à la rentrée 2017. « Lorsque j’ai eu mon oral d’admission, le professeur m’a demandé pourquoi je ne restais pas en France alors que les ingénieurs français font partie des meilleurs au monde, raconte-t-il. Je lui ai expliqué mes motivations à suivre une éducation plus basée sur la pratique, sur les projets et la recherche, mais aussi plus spécialisée dès le début. Il m’a répondu que c’est en effet la différence entre les deux systèmes, mais que les deux se valent et excellent à leur façon. »

Son camarade Edouard Martin (qui était admis dans la même prépa) complète en pointant « la principale faiblesse des prépas » : l’incertitude, qui demeure jusqu’aux résultats du concours, deux ans, voire trois ans après. « Personne n’a la garantie d’avoir une bonne école et de ce fait, un bon diplôme. J’ai rencontré beaucoup d’élèves ayant étudié dans d’excellentes prépas et qui sont déçus de leur école par la suite », confie-t-il.

Trouver une alternative

Un sentiment partagé par Léo Meynent, qui a opté pour un bachelor à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (l’EPFL recrute les bac S mention « très bien ») alors qu’il était admis dans deux très bonnes prépas, aux lycées du Parc à Lyon et Champollion à Grenoble. « Plus que partir à l’étranger, j’avais envie de trouver une alternative à la classe préparatoire », explique-t-il.

Le jeune homme se tourne alors vers les prépas intégrées, comme dans les instituts nationaux des sciences appliquées (INSA) ou les instituts nationaux polytechniques (INP). « Ces cursus semblaient assez intéressants pour un parcours ingénieur, mais ne sortaient pas vraiment de la “pédagogie prépa”, explique-t-il. C’est alors que j’ai entendu parler de l’EPFL, qui mélangeait un cursus d’ingénieur très reconnu à une méthode d’enseignement plus proche de celle de l’université. » Le tout dans un décor de rêve, au bord du lac Léman, et à 1 266 francs suisses (soit 1 090 euros) l’année.

Son compatriote Nicolas Lesimple acquiesce : « Nous avons un cadre de travail magnifique ainsi qu’un centre sportif. On nous demande beaucoup de travail mais l’EPFL nous apprend vraiment à travailler tout en prenant le temps de faire du sport, la fête, et de participer à la vie associative du campus. Le travail passe bien sûr avant tout, mais nous sommes vraiment encouragés à nous épanouir en dehors de nos cours. »

Ouverture internationale

En première année, 39 % des étudiants sont des bacheliers français, soit 678 élèves. « Notre section génie mécanique attire beaucoup, souligne Daniel Chuard, délégué à la formation à l’EPFL. Nous savons que nous sommes attractifs et ce, notamment parce que notre diplôme est reconnu par la Commission des titres d’ingénieurs française » – qu’il s’agisse du bachelor ou des masters. De plus, l’établissement mise sur l’ouverture internationale : les stages à l’étranger, les échanges avec d’autres pays font partie de la formation, surtout en troisième année du bachelor et lors des projets de master. L’effectif des élèves est lui-même très cosmopolite puisque pas moins de 120 nationalités s’y côtoient.

Partir à l’étranger pour « s’ouvrir » plutôt que « subir » une prépa, tel est bien le leitmotiv de ces jeunes talents en fuite.

Partir à l’étranger pour « s’ouvrir » plutôt que « subir » une prépa, tel est bien le leitmotiv de ces jeunes talents en fuite. Pour François Beckrich, proviseur du lycée Pierre-de-Fermat à Toulouse, ces étudiants n’avaient de toute façon « pas fait, d’abord, le choix de la prépa ». Car « on n’y vient pas par hasard, affirme-t-il. On adhère à des exigences, des fondamentaux et aux qualités intrinsèques d’une prépa ».

Et Jean Bastianelli, président de l’APLCPGE, de renchérir : « Je préviens toujours les lycéens que s’ils rêvent d’un campus à l’américaine, ce n’est pas la peine de venir en prépa car ils seraient malheureux. » Certains partent et d’autres restent, comme il en va depuis toujours. Aux yeux d’une majorité de proviseurs de lycées à CPGE, l’honneur des prépas reste donc sauf.