Liban : un après-scrutin à haut risque
Liban : un après-scrutin à haut risque
Editorial. Après les élections législatives du 6 mai, le pays entre dans une nouvelle phase de négociations entre dirigeants. Les influences extérieures sont telles que c’est toute la stabilité de la région qui est en jeu.
Editorial du « Monde ». Le résultat des élections législatives au Liban est sans ambiguïté. Le recul des sunnites du Futur, le mouvement du premier ministre sortant, Saad Hariri, est net. La poussée des partis chiites, Amal et Hezbollah, acquis à la « résistance » contre Israël, est forte. Enfin, un rééquilibrage du camp chrétien, où le courant patriotique libre du président Michel Aoun est talonné par les Forces libanaises de Samir Geagea, très hostiles au Hezbollah, s’est opéré.
Mais, au Liban, les rapports de force ne sont pas seulement affaire d’arithmétique. Beaucoup se joue dans l’après-scrutin, grâce aux ententes entre dirigeants et aux calculs d’appareils, lesquels sont particulièrement sensibles aux rapports de force régionaux.
De fait, la domination du Hezbollah sur la scène politique libanaise ne date pas du 6 mai, jour du vote. Elle a émergé par étapes, dès 2010, un an après une élection qui avait pourtant consacré la victoire de l’alliance dite du « 14 mars », opposée au régime syrien et au mouvement chiite, dont le Futur était la cheville ouvrière.
Confrontation à distance
Ce retournement n’a été possible que parce que, entre-temps, la situation régionale a progressivement tourné en faveur du Hezbollah. Le relatif retrait des Etats-Unis des affaires proche-orientales, entamé sous Barack Obama, le déploiement militaire iranien et russe en Syrie et le sauvetage de Bachar Al-Assad, conséquence directe de cette double intervention, ont pesé lourd dans l’arène libanaise, toujours perméable aux influences extérieures.
L’échec des sunnites du Futur est intimement lié à la défaite plus globale des forces sunnites modérées au Proche-Orient. En Syrie, en Irak et au Yémen, elles ont perdu la partie, écrasées entre les régimes en place et les insurrections djihadistes, à l’égard desquels elles ont parfois fait preuve d’aveuglement. Dans la confrontation à distance entre l’Iran, champion des chiites au Proche-Orient, et l’Arabie saoudite, chef de file des sunnites, le premier mène largement.
Mais, à Riyad, le nouveau pouvoir, incarné par l’impétueux prince héritier Mohammed Ben Salman (« MBS »), ne se résout pas à ces reculs. Le désir de renverser la table est encore plus sensible en Israël, où le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a fait de l’Iran son ennemi public numéro un. Les deux Etats, partenaires stratégiques de fait, se réjouissent à l’idée que Donald Trump puisse décider du retrait de l’accord sur le nucléaire iranien. Son annonce imminente promet d’accroître encore un peu plus le risque d’une confrontation directe entre Israël et l’Iran.
Une telle guerre se jouerait-elle seulement sur le sol syrien ? Dans certaines réactions à l’élection libanaise, notamment celle du faucon israélien Naftali Bennett, qui s’est empressé de déclarer que désormais « Liban égale Hezbollah », on sent poindre la tentation d’imposer un second tour. Par les armes, cette fois. Rien ne serait évidemment plus dangereux et dévastateur pour le Liban et la région tout entière.
Le premier ministre Saad Hariri l’a bien compris. Il a exhorté ses partenaires arabes et occidentaux à voir le résultat des élections « d’un œil positif ». Il faut espérer qu’il soit entendu à Washington, mais surtout à Riyad. En novembre, « MBS » l’avait forcé à démissionner, dans l’espoir de dresser la rue sunnite contre le Hezbollah, avant de faire machine arrière, convaincu par Paris du danger de la manœuvre. Mais la responsabilité de l’apaisement incombe aussi à Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. L’homme a la réputation d’être un fin tacticien politique. A lui de montrer qu’il excelle aussi en géopolitique.