Les quatre « commandements » d’Emmanuel Macron pour l’Europe
Les quatre « commandements » d’Emmanuel Macron pour l’Europe
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
« N’attendons pas », « n’ayons pas peur », « ne soyons pas faibles », « ne soyons pas divisés », a exhorté le président français à Aix-la-Chapelle, où il recevait le prix Charlemagne.
Le président Emmanuel Macron à côté de la chancelière allemande Angela Merkel, à l’issue de la remise du prix Charlemagne, le 10 mai 2018, à Aix-la-Chapelle, dans l’ouest de l’Allemagne. / LUDOVIC MARIN / AFP
Peut-être était-ce l’écho, la majesté de cette salle du couronnement, dans la mairie d’Aix-la-Chapelle, ex-capitale de l’empire carolingien ? Ou la solennité du moment, alors qu’Emmanuel Macron recevait, jeudi 10 mai Outre-Rhin, quasiment des mains d’Angela Merkel, le prix Charlemagne, plus ancienne et plus prestigieuse récompense européenne ?
Le contraste était en tout cas saisissant entre la vision qu’a une nouvelle fois développée le chef de l’Etat français pour l’Union, et la mesure dont a – une nouvelle fois elle aussi – fait preuve la chancelière sur le même sujet. S’adressant directement à elle, face à un parterre essentiellement allemand – où on pouvait quand même apercevoir Daniel Cohn-Bendit, François Bayrou, ou Jean-Claude Trichet –, Emmanuel Macron a livré son discours le plus fort sur l’Europe depuis celui de la Sorbonne, en septembre.
Animé par l’urgence (de trouver un plan commun de relance avec Berlin, mais aussi de prémunir l’Europe face à la montée des périls au Moyen-Orient suite à la décision américaine de se retirer de l’accord nucléaire iranien), le chef de l’Etat français a exhorté l’Allemagne à « prendre des risques », à ne « pas avoir peur » et à en finir avec ses « fétiches ».
La France « a fait un choix dont je suis le dépositaire »
La France a les siens, a insisté M. Macron, qui fait le pari, depuis un an, de rester dans les clous du pacte de stabilité et de croissance : « En France, il ne faudrait plus toucher les traités [européens]. Mais réveillez-vous, la France a changé, elle n’est plus la même, elle a fait un choix dont je suis le dépositaire, celui des réformes. » Quant à l’Allemagne, « il ne peut pas y avoir non plus un fétichisme perpétuel pour l’équilibre budgétaire et les excédents commerciaux ! »
A la Sorbonne, il y a maintenant huit mois, M. Macron a fait une longue liste de propositions pour l’Union, notamment pour la zone euro, sans que pour l’instant Berlin n’ait répondu franchement à sa main tendue. L’Allemagne a déjà enterré son projet d’un super-ministre des finances et d’un parlement de la zone euro. Reste l’idée d’un budget propre, mais qui n’enthousiasme par le ministre des finances, Olaf Scholz. A Bruxelles, on n’espère plus, au mieux qu’une modeste « ligne budgétaire » (25 milliards d’euros sur sept ans) dans le budget de l’Union post-Brexit.
M. Macron n’a pourtant rien cédé sur cette idée d’un budget commun, jeudi : « Je crois dans un budget européen beaucoup plus ambitieux dans lequel la France prendra sa part, qui défendra la convergence économique, fiscale et sociale » dans l’eurozone.
Déroulant sur un mode très solennel ses quatre « commandements » pour l’Europe, dont l’urgence à agir (« n’attendons pas, c’est maintenant ! ») et la défense des valeurs (« n’ayons pas peur de nos principes et ne nous trahissons pas »), le chef de l’Etat français a aussi insisté sur la nécessaire prise de conscience face aux Etats-Unis de Trump. Dans une allusion transparente à la décision brutale et unilatérale du président américain de se retirer de l’accord nucléaire iranien, il a lancé un vibrant : « Ne soyons pas faibles, ne subissons pas ! »
Accord iranien et multilatéralisme
« Accepterons-nous la règle de l’autre ou sa tyrannie ? Qui doit décider de nos choix commerciaux, ceux qui nous menacent parce que les règles ne leur conviennent plus? Nous avons fait le choix de construire la paix au Proche et au Moyen-Orient, d’autres puissances ont choisi de ne pas respecter leur parole. Devons-nous céder à la politique du pire ? » a martelé le président, qui a plusieurs fois appelé, ces derniers jours, à sauvegarder l’accord iranien et à préserver le multilatéralisme.
C’est sur ce dernier point, la crise ouverte de la relation transatlantique, que la chancelière Merkel a prononcé ses paroles les plus fortes, jeudi. La politique étrangère européenne « n’en est encore qu’à ses débuts car les conflits se jouent à nos portes et les Etats-Unis ne vont pas nous protéger. L’UE doit prendre son destin en main. Il s’agit d’une question de guerre ou de paix, j’appelle toutes les parties prenantes à faire preuve de retenue », a t-elle insisté, faisant référence à la montée des tensions entre Israël et Iran ces dernières heures. « Nous devons renforcer nos efforts pour trouver une solution politique à la Syrie. »
Pour le reste de sa laudatio, même si elle a loué le « charme » et la « capacité » du président français à enthousiasmer les citoyens de l’Union européenne, la chancelière n’a offert aucune ouverture, notamment sur un budget pour l’eurozone, insistant au contraire sur les priorités allemandes : la migration, la transformation digitale. Sur l’eurozone, les discussions sont « difficiles mais nous allons faire des progrès sur l’union bancaire et les marchés des capitaux », a cependant promis la chancelière.
Dédramatiser les divergences franco-allemandes
Il devrait donc y avoir une feuille de route franco-allemande en juin. Mais pour quelle ambition ? La politique des petits pas, qui semble convenir à Berlin ? Juste un filet de sécurité supplémentaire pour l’union bancaire, déjà quasi acquis depuis l’automne au sein de l’Eurogroupe (les ministres des finances de l’eurozone) et quelques engagements de long terme sur le financement de la transformation digitale ?
Des deux côtés du Rhin, les diplomates ont l’habitude de dédramatiser les divergences, jugées classiques, entre les Allemands et les Français. Sur le commerce, la défense, l’économie, les « positions de départ de Berlin et de Paris sont souvent éloignées, mais on finit toujours par trouver un compromis, c’est ce qui fait la force du franco-allemand », soulignent-ils. Certes, mais pour l’instant, le compromis en discussion paraît plus allemand que français. Et pas forcément à la mesure de cette « perspective de trente ans » que le président Macron dit vouloir offrir aux citoyens de l’Union.
Il en va aussi de la crédibilité : le chef de l’Etat a beau être très apprécié en Allemagne, comme dans les cercles bruxellois, pour son ardeur à défendre l’Europe, il reste singulièrement isolé sur son programme de réformes. Au Nord, les Néerlandais ou les Irlandais incarnent les nouveaux « Britanniques » de l’Union (ils disent non à une taxe digitale, non à davantage d’argent pour le budget de l’Union, etc.). Au Sud, l’Italie pourrait se doter d’un gouvernement populiste eurosceptique. A l’Est, les capitales ont d’autres priorités ou développent des discours anti-Bruxelles inquiétants…
Quel poids aura encore la parole macronienne, si après les discours d’Athènes, de la Sorbonne, au Parlement européen en avril, et maintenant à Aix-la-Chapelle, elle n’arrive toujours pas à entraîner les autres Européens sur le terrain de l’action ?