Matteo Salvini et Luigi Di Maio, les deux hommes forts du nouveau gouvernement italien
Matteo Salvini et Luigi Di Maio, les deux hommes forts du nouveau gouvernement italien
Par Le Monde.fr (avec Jérôme Gautheret, correspondant à Rome)
Les dirigeants de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles, qui ont conclu un accord de gouvernement jeudi, obtiennent les postes-clés de l’intérieur et du développement économique.
Luigi Di Maio et Matteo Salvini.
Aucun d’eux n’est premier ministre, mais ils détiennent pourtant les clés du nouveau gouvernement italien, formé jeudi 31 mai et dirigé par Giuseppe Conte. En héritant respectivement du ministère de l’intérieur et de celui du développement économique, Matteo Salvini et Luigi Di Maio occupent deux postes-clés de la nouvelle équipe gouvernementale.
Ils doivent ces postes à leur score aux élections législatives de mars — le Mouvement 5 étoiles (M5S), de M. Di Maio, est arrivé en tête (32 %) devant la Ligue, de M. Salvini, (17 %) — et à l’accord de gouvernement conclu entre les deux hommes, qui fait depuis trembler leurs voisins européens. Ce programme prévoit notamment de mettre fin à l’austérité, de baisser les impôts et de réviser les règles de gouvernance européenne.
Tous deux ont espéré devenir chef du gouvernement, mais une féroce lutte d’ego et leurs faibles scores individuels les ont forcés à choisir une tierce personne. Giuseppe Conte a dévoilé dans la soirée la liste de ses ministres, qui prêteront serment vendredi à 16 heures. Après la prestation de serment, le nouveau président du conseil demandera la confiance au Parlement, où la Ligue et le M5S ont la majorité des deux chambres.
Portrait des deux nouveaux hommes forts du gouvernement italien.
Matteo Salvini, un xénophobe au ministère de l’intérieur
Matteo Salvini, à Rome, le 5 avril 2018. / Alessandro Bianchi / REUTERS
La politique migratoire de l’Italie est désormais entre ses mains. Matteo Salvini, dirigeant xénophobe de la Ligue, a été nommé ministre de l’intérieur, jeudi soir, dans le nouveau gouvernement dirigé par Giuseppe Conte. Une consécration pour celui qui a mené la Ligue en deuxième position des élections législatives, avec 17 % des voix, devant Forza Italia de Silvio Berlusconi (14 %).
Matteo Salvini, 45 ans, est né et a grandi dans la capitale lombarde, Milan. Il adhère à la Ligue du Nord dès 1990, alors qu’il est encore lycéen. C’est en faisant de la radio, à la tête de l’organe du parti, Radio Padania Libera, à partir de 1999, qu’il composera son personnage. Le tribun enchaîne alors les provocations, notamment dans sa haine de l’Italie et des habitants du sud du pays, traités de « feignants ».
En 2009, lors d’une soirée, il chante même Senti che puzza/Scappano anche i cani/Stanno arrivando i Napoletani » (littéralement, « Sens comme ça pue/Même les chiens s’enfuient/Les Napolitains arrivent »). En 2004, cet eurosceptique notoire entre au Parlement européen. En 2013, il reprend les rênes du parti, fragilisé par un scandale de détournement de fonds publics — le parti ne dépassait alors pas 4 % des suffrages aux législatives de 2013. Mais M. Salvini entreprend au fil des années une mutation en profondeur du mouvement, naguère recroquevillé sur le nord du pays.
Au grand dam d’une frange originelle de la Ligue du Nord, devenue la Ligue sous l’impulsion de M. Salvini, le programme du parti évolue : fini le discours régionaliste anti-italien, place désormais à la critique de l’Europe et au souverainisme.
Il n’est plus question de l’indépendance de la région de la Padanie (région imaginaire du nord du pays, regroupant le Piémont, la Lombardie, le Frioul-Vénétie julienne, le Val d’Aoste, la Vénétie et l’Emilie-Romagne), ni de fédéralisme fiscal. Pour sa communication, Matteo Salvini utilise abondamment les réseaux sociaux, où il est très suivi (2,2 millions de personnes sur Facebook et 720 000 abonnés sur Twitter) et s’invite régulièrement sur les plateaux télévisés.
M. Salvini se rend même dans le sud du pays pour faire campagne, s’en prenant désormais régulièrement à l’Union européenne, à l’espace Schengen et aux immigrés (qu’il appelle « clandestins ») dénonçant notamment une « invasion programmée ». Il s’est d’ailleurs allié au Front national de Marine Le Pen au Parlement européen et souhaite mettre fin aux sanctions européennes visant la Russie de Vladimir Poutine.
Luigi Di Maio, visage lisse à la tête d’un parti populiste
Luigi Di Maio, à Rome, le 18 mai 2018. / Giuseppe Lami / AP
Il avait eu la lourde tâche de succéder au volcanique Beppe Grillo à la tête du Mouvement 5 étoiles, en septembre 2017. Après des élections législatives remportées nettement en mars (32 % des voix), Luigi Di Maio, plus modéré que son prédécesseur, a été propulsé jeudi ministre du développement économique, à 31 ans.
Son ascension politique a été très rapide. Après avoir été élu député à 26 ans, en 2013, sous les couleurs du M5S, il devient vice-président de la Chambre, où son travail a été salué. Il s’impose comme l’un des visages les plus connus du mouvement antisystème. S’il représente alors l’aile droite « modérée » du M5S, il se fait toutefois remarquer en pleine crise des migrants lorsqu’il qualifie de « taxis des mers » les navires affrétés par des ONG humanitaires qui effectuent des opérations de sauvetage en Méditerranée.
Lors de son intronisation à la tête du parti à l’automne 2017, pour laquelle il avait obtenu 82 % des voix des militants, il est alors contesté par « l’aile gauche » du M5S, mais sa campagne efficace, où il choisit notamment de mettre l’accent sur le sud du pays, délaissé par le pouvoir central, fait taire les critiques. M. Di Maio a également tenu à rassurer les partenaires européens de l’Italie en se montrant moins eurosceptique que Beppe Grillo.
« Certes nous sommes critiques, mais nous voulons rester dans l’Union européenne, et bien sûr, nous voulons rester dans l’euro, avait-il assuré dans un entretien au Monde. Mais — et nous ne sommes pas les seuls — nous sommes conscients que certaines choses doivent changer. »
Outre ce changement de ton envers l’Europe, M. Di Maio a modifié la doctrine du M5S sur les alliances avec d’autres partis. Alors qu’il a construit une bonne part de sa popularité sur le refus de tels accords, il a tendu la main après les élections, aussi bien au Parti démocrate (centre gauche), qu’il avait longtemps décrié, et qui a refusé de discuter, qu’à la Ligue, avec laquelle la synthèse a cependant été délicate.
Dans son interview au Monde, M. Di Maio s’était d’ailleurs montré très critique envers son nouveau partenaire au gouvernement : « Salvini utilise depuis toujours cette colère, faisant croire aux Italiens qu’une fois au pouvoir, il va résoudre tous les problèmes. »