« Bécassine ! » : dans le coffre à jouets
« Bécassine ! » : dans le coffre à jouets
Par Jacques Mandelbaum
Bruno Podalydès tente de faire vivre à l’écran le personnage de bande dessinée sans réussir à convaincre, malgré de jolies inventions.
Astérix, le Marsupilami, Iznogoud, Lucky Luke, Boule et Bill, Spirou, Gaston Lagaffe… Où s’arrêtera donc la grande lessiveuse cinématographique qui essore impitoyablement nos héros de bande dessinée préférés ?
On reconnaîtra à Bruno Podalydès, qui adapte aujourd’hui Bécassine, la vertu de n’être pas un faiseur, de préserver en lui, comme son œuvre le prouve suffisamment (Liberté-Oléron, Adieu Berthe, Comme un avion…), un esprit d’enfance, de choisir une héroïne qui, contrairement aux précédents, remonte si loin dans le temps que son souvenir s’estompe.
Née en 1905 de la plume de Jacqueline Rivière et du pinceau de Joseph Pinchon, la naïve servante bretonne aura eu le succès vif et la vie longue, prolongeant jusqu’à la fin des années 1950 ses aventures, et jouissant dans la mémoire nationale d’une aura similaire à ses trois affreux (et infiniment plus croquignolesques) contemporains que sont les Pieds nickelés.
Au sujet de la brave fille, deux camps s’affrontent clairement. Les premiers, parmi lesquels quelques fiers Bretons qui défendent bec et ongles l’honneur régional à chaque résurgence du personnage (le film de Bruno Podalydès n’y fait pas exception), tiennent que c’est une gourde, que ses histoires sont à dormir debout, qu’elle est l’illustration du mépris de classe que les bourgeois parisiens de la Belle Epoque concevaient pour les émigrés provinciaux venant chercher pitance dans la capitale.
Une femme forte avant l’heure
Un second camp tient qu’elle est moins bête qu’elle n’en a l’air, qu’elle a le sens pratique, qu’elle subvertit l’ordre existant, qu’elle participe aux combats de son temps, qu’elle est en un mot une femme forte avant l’heure, en même temps que la bande dessinée qui l’héroïse annonce la fameuse ligne claire du grand Hergé.
Il va de soi que Bruno Podalydès se situe dans ce camp-là. Sa Bécassine (interprétée par Emeline Bayart) est certes épaisse ce qu’il faut, mais c’est une bonne fille, qui débrouille les problèmes là où les autres s’y noient et qui a le cœur sur la main. Partie de sa Bretagne natale pour Paris, elle tombe en chemin sur le convoi de la marquise de Grand-Air (Karin Viard), qui ne sait que faire du nourrisson qu’elle a recueilli après la mort de ses jardiniers. Le talent avec lequel Bécassine calme la fillette la fait embaucher au château.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si la marquise, en dépit de la vigilance de ses proches (Denis Podalydès en compagnon équivoque, Josiane Balasko en gouvernante de style militaire), ne tombait sous la coupe de Rastaquoueros (Bruno Podalydès), un marionnettiste grec vaguement aigrefin, qui devient son amant et la ruine en deux coups de cuillère à pot.
On retrouve donc ici l’attrait du réalisateur pour les rémanences enfantines et les univers de pure fantaisie. Le problème est que la candeur du personnage, la découpe délibérément grossière et statique des caractères, la ligne ténue de l’intrigue, l’humour passablement daté – autant de traits qui ne dérangent pas le plaisir de la lecture imagée – passent assez mal au cinéma. Restent des joliesses, des interprétations plaisamment outrées, une litanie de petites inventions comme sorties d’un coffre à jouets. C’est mieux que rien, ce n’est toutefois pas suffisant.
Bécassine - Bande Annonce Officielle - UGC Distribution
Durée : 01:57
« Bécassine ! », film français de Bruno Podalydès. Avec Emeline Bayart, Karin Viard, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz (1 h 31). Sur le Web : Whynotproductions.fr/film3.php?id=164 et Ugcdistribution.fr/film/becassine