« Mon année de césure m’a fait gagner en maturité plus que n’importe quel master »
« Mon année de césure m’a fait gagner en maturité plus que n’importe quel master »
Etudiante en histoire, Mariette Thom a fait une pause d’un an dans son cursus. Elle déplore que ce soit si compliqué pour les étudiants d’organiser et de financer une césure souvent très bénéfique pour la suite.
« En somme, j’ai énormément appris sur le monde, sur les autres et sur moi-même, et je sais que désormais, je n’envisagerai plus ma vie de la même manière. » / Mariette T.
A l’issue de sa première année de master d’histoire à l’université Paris-Sorbonne, Mariette Thom a pu, à l’issue d’un « véritable parcours du combattant », partir en année de césure, au Canada puis en Allemagne. Voici son témoignage, qui s’accompagne d’un appel à un meilleur accompagnement, y compris financier, pour les étudiants qui souhaitent en faire l’expérience.
« J’ai toujours été bonne élève. En tête de classe durant toute ma scolarité, j’ai suivi la voie royale qu’on me proposait sans y réfléchir : lycée général, bac S, classes préparatoires B/L dans un grand lycée parisien, bi-licence à la Sorbonne, puis master recherche. Mais à 21 ans, au milieu de ma première année de master, je me réveille brusquement. Je me découvre embarquée sur le chemin d’une thèse que je n’ai aucune envie de faire, sans comprendre comment j’en suis arrivée là, ni comment en sortir. C’est pourquoi je décide de prendre une année de césure : ainsi, j’aurais le temps de réfléchir à mon orientation, de faire des stages et de découvrir le monde.
Alors, je pars au Canada, où j’ai décroché un stage de six mois dans le service culture et communication de l’Alliance française de Calgary. L’expérience s’avère inoubliable : je suis membre à part entière d’une équipe jeune et dynamique, qui me fait immédiatement confiance et me donne des responsabilités qu’on ne laisserait jamais à une stagiaire inexpérimentée en France. J’y acquiers de nombreuses compétences que je pourrais sans aucun doute réutiliser dans un futur proche, et je peux goûter à la saveur du travail au sein du domaine culturel, dans lequel je veux désormais m’orienter.
Après être rentrée du Canada, je repars pour Cologne, en Allemagne, où je désire rester quelques mois afin de m’immerger dans une langue dont je voudrais parfaire la maîtrise. Cette fois, je ne cherche pas tant à explorer un univers professionnel qu’à relever un challenge de taille : seule, dans un pays étranger, je dois trouver un logement et un petit boulot. Et me voilà à m’essayer à la vente de glaces et de vêtements, avant d’être finalement embauchée à la Cité des sciences de Cologne, ce pour quoi mes études ne m’avaient pas préparée ! Pourtant, cette expérience m’a fait gagner en maturité plus que n’importe quel master.
Un véritable parcours du combattant
Cette année de césure m’a beaucoup apporté. J’ai enfin eu le temps de réfléchir à mon parcours scolaire et de mieux cerner mes centres d’intérêt. Ainsi, j’ai pris le recul dont j’avais besoin pour repenser mon orientation professionnelle. Cependant, je n’en rapporte pas que cette nouvelle détermination, mais également des souvenirs impérissables. J’ai connu la beauté de la nature canadienne, et l’effervescence des villes nord-américaines. J’ai souvent été seule, mais j’ai toujours trouvé quelqu’un pour m’accueillir chaleureusement. J’ai croisé des gens de nationalités différentes, immigrés et autochtones, qui ont partagé leur histoire et leur culture avec moi. Surtout, j’ai noué des amitiés qui me marqueront pour le reste de ma vie. En somme, j’ai énormément appris sur le monde, sur les autres et sur moi-même, et je sais que désormais, je n’envisagerai plus ma vie de la même manière.
Aujourd’hui, j’aimerais que tous ceux qui le désirent puissent comme moi avoir l’occasion de faire une année de césure au cours de leur parcours. Pourtant, de nombreux obstacles se dressent sur la route d’un étudiant motivé à faire une césure : cela a été pour moi un véritable parcours du combattant. Si cette pratique est courante dans les grandes écoles depuis de nombreuses années, elle est en effet encore marginale à l’université, où elle n’a été officiellement définie que via une circulaire, en juillet 2015.
Pour préparer mon départ, j’ai dû aller à la pêche aux renseignements durant plusieurs mois, courant du bureau des stages à celui des césures, en passant par ceux des inscriptions, de mon master et du CIO [centre d’information et d’orientation], y récoltant à chaque fois des informations contradictoires. Finalement, j’ai obtenu mon dossier de césure et ma convention de stage cinq minutes après la fermeture officielle estivale de l’université – on m’a confié que sur une centaine de dossiers, seuls le mien et celui d’une autre candidate aussi tenace que moi avaient été traités avant la fermeture, et donc, avant la rentrée. Pourtant, sans dossier, pas de convention, et pas de stage – et dans mon cas, pas de visa, ce qui aurait fait tomber à l’eau mon projet de césure. Quand votre université vous cause plus de difficultés pour immigrer que le service de l’immigration lui-même, on peut légitimement parler d’un problème.
Autre difficulté : le financement. Pour que l’année de césure ne reste pas un privilège réservé à une élite pouvant se permettre de cesser ses études durant un an, pour se dédier à des stages mal payés ou à du volontariat, il faudrait plus de transparence sur les bourses et aides disponibles. Aujourd’hui, il n’existe même pas de site Internet officiel listant les formes que peut prendre une césure, et les financements auxquels un étudiant peut prétendre. La création d’un tel site ou d’un centre d’information sur la césure me semble indispensable à la définition d’un projet de césure constructif et viable financièrement.
Des dispositifs de financement peu connus
En France, les stages sont obligatoirement rémunérés s’ils sont d’une durée supérieure à deux mois – la gratification reste cependant peu généreuse, 560 € nets par mois en 2018. Mais l’étudiant, parce qu’il bénéficie de son statut d’étudiant durant sa césure, peut avoir accès à de nombreuses aides lui permettant de survivre (aides personnalisées au logement, Sécurité sociale étudiante, transports, etc.). La nouvelle loi Orientation et réussite des étudiants, promulguée en mars, donne pour la première fois une base législative à l’année de césure. Mais elle ne va pas assez loin, puisqu’elle ne mentionne pas la question des étudiants boursiers. Ces derniers doivent toujours bénéficier d’une dispense d’assiduité pour pouvoir conserver leur bourse, qui est attribuée par l’établissement selon des critères d’adéquation entre la thématique de la césure et la formation au sein de l’établissement – autrement dit, il n’y a pas de règle claire.
Dans le cas d’un départ dans l’UE, on peut également postuler à des bourses de stage européennes – mais cela nécessite d’avoir trouvé son stage suffisamment à l’avance au cours de l’année précédant la césure pour en faire la demande à temps. On peut aussi faire un service volontaire européen pour lequel, si l’on n’est évidemment pas rémunéré, on est toutefois complètement pris en charge (logement, nourriture, assurance, ainsi qu’une petite indemnité). Seulement, si l’on n’est pas mis au courant de ces dispositifs, on a de fortes chances de passer à côté.
L’année de césure, ce n’est pas une année de vacances. Il s’agit de faire des stages en entreprise, prendre des cours en auditeur libre, faire du volontariat, un service civique, voyager ; il s’agit de prendre du temps pour réfléchir à son futur tout en faisant l’expérience du monde non académique ; bref, il s’agit de grandir. Alors que l’éducation nationale peine à renouveler son système d’orientation, pourquoi ne pas mieux exploiter les possibilités offertes par la césure ? Pour moi, cela a été l’occasion de mieux me connaître, et de prendre en main mon avenir. »