Jeune tué par un policier : une enquête sous haute tension à Nantes
Jeune tué par un policier : une enquête sous haute tension à Nantes
Par Anne-Hélène Dorison (Nantes (correspondance)
Après la mort d’un jeune homme de 22 ans, abattu lors d’un contrôle policier, les violences ont encore secoué plusieurs quartiers de Nantes mercredi soir.
L’enquête « approfondie », autour de la mort d’un jeune homme de 22 ans tué par un policier, à Nantes, mardi 3 juillet au soir, pourrait connaître des avancées décisives dès jeudi 5 juillet. Voilà ce qu’a annoncé Pierre Sennès, le procureur de la République de Nantes, lors d’une conférence de presse mercredi soir. De nouvelles tensions ont violemment secoué plusieurs quartiers nantais dans la nuit de mercredi à jeudi, donnant lieu à dix-neuf interpellations – essentiellement dans le quartier de Breil et dont quatre mineurs – et à onze gardes à vue. Et l’enquête, menée dans un contexte hautement sensible, prend des airs de course contre la montre. Vingt-quatre heures après la mort d’Aboubakar F., deux versions s’affrontent toujours sur le déroulé des faits.
Il est 20 h 30, mardi, quand un équipage de six CRS de la compagnie 17 de Bergerac croise la route de la Nissan de location que conduit d’Aboubakar F. et lui demande de s’arrêter. Le conducteur coupe le moteur et tend des papiers aux fonctionnaires. Il ne dispose pas de document d’identité et se présente sous un faux nom. Un CRS appelle le commissariat pour vérifications. Il est alors décidé de l’y conduire. C’est à cet instant que « le conducteur, semble-t-il, a cherché à se soustraire de ce contrôle en opérant à vive allure une marche arrière », a indiqué Pierre Sennès, mercredi.
« Tir à bout portant »
Dans la manœuvre, la Nissan percute une Renault Mégane stationnée à proximité. Un des CRS a suivi sa progression. Son Sig Sauer à la main, il se « positionne à proximité de la place du conducteur » et fait feu « à une seule reprise », selon le procureur de la République. Aboubakar F. est touché au niveau du cou. Le tir provoque sa « mort dans un bref délai ».
Le déroulé de la scène qui précède le drame ne semble pas souffrir de contestation. Mais les circonstances entourant le tir mortel, elles, posent question. Mardi soir, des sources policières ont fait état d’un CRS blessé aux genoux par le véhicule et ont évoqué la présence d’enfants, qui se seraient trouvés « en danger », derrière la Nissan. Le policier aurait donc tiré alors qu’il se trouvait en état de « légitime défense », selon les syndicats.
Dans la cité, où le mot « bavure » a rapidement noirci certains murs, des habitants témoins de la scène affirment le contraire. Selon eux, en effet, personne ne se trouvait derrière la voiture au moment où elle a reculé. « C’était un tir à bout portant », répète Jordan, un ami d’Aboubakar F. « Il est mort gratuitement. Comme un chien. On en veut beaucoup à la police. » « Il n’était ni armé ni violent. Pourquoi a-t-il été tué ? On veut la vérité, et vite ! », lance un autre jeune homme, qui cherche, comme d’autres dans la cité, à collecter le maximum de témoignages dans le quartier pour « contredire la version livrée par la police ».
Des vidéos filmées par des habitants ont ainsi été rapidement diffusées, sur les réseaux sociaux notamment. Sur les images, on peut voir le début du contrôle, qui semble se dérouler dans le calme. Mais le film est interrompu avant la scène, cruciale, du coup de feu.
De leur côté, les enquêteurs couraient, eux aussi, après les témoignages mercredi. Le service régional de police judiciaire et l’inspection générale de la police nationale (IGPN) ont notamment lancé un appel à témoins, invitant « toute personne susceptible de fournir des informations » à les contacter au plus vite. Les nombreuses auditions menées et les investigations effectuées visent notamment à déterminer dans « quelles circonstances le policier a été amené à faire usage de son arme de service » et à établir si cet usage est « conforme aux dispositions légales », selon les mots du procureur. Tous ont été entendus mercredi par l’IGPN. Un témoin, dont le récit serait très éclairant, s’est également présenté, en fin d’après-midi, au commissariat central de Nantes.
« On ne tue pas pour un contrôle »
Mercredi dans la journée, tandis que les autorités rappellent qu’Aboubakar F., originaire de Garge-lès-Gonesse dans le Val-d’Oise, faisait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré en juin 2017 par un juge d’instruction de Créteil, des chefs de vol en bande organisée, recel et association de malfaiteurs, de nombreux amis du défunt brossent le portrait d’un jeune homme « souriant et intelligent », « qui ne cherchait pas les problèmes ». Ici, beaucoup connaissaient « le Loup », son surnom.
Dans le quartier, la colère le dispute au chagrin. « Quoi qu’il se soit passé, la mort de ce jeune homme est inacceptable. On ne tue pas pour un contrôle », souffle une mère de famille, en séchant ses larmes. Un peu plus loin, des grands frères cherchent à convaincre les plus jeunes de « stopper la casse ». « Tout cela ne nous ramènera pas Abou, répète l’un d’eux. Il faut nous montrer intelligents et réfléchir. Bien sûr qu’on ira jusqu’au bout. Mais on doit s’organiser. »
Leurs efforts et l’appel au calme, lancé par la famille de la victime, par la voix de son avocat, Me Antonin Péchard, ne semblent pas avoir été entendus par tous. De nouvelles tensions ont éclaté dans le quartier du Breil, dans la soirée de mercredi. Autour des lieux du drame, où des bouquets de fleurs ont été déposés, les tirs de gaz lacrymogène répondent alors aux insultes et aux jets de projectiles. Un tir de 22 long rifle aurait également visé un policier, et atteint son casque, sans le blesser. Sous les regards inquiets de nombreux habitants penchés aux fenêtres des immeubles, plusieurs groupes de jeunes gens font alors face aux forces de l’ordre, venues en nombre sécuriser les lieux.
Plus tard dans la nuit, de nombreux autres incidents se sont produits dans différents quartiers nantais, où les forces de l’ordre étaient très mobilisées. A Malakoff, à Bellevue et aux Dervallières, des jeunes gens ont positionné des voitures en travers de la route, avant de les incendier. Plusieurs bâtiments ont également été visés. « Ce spectacle est désolant », soupire un habitant, qui n’a toujours pas trouvé le sommeil, à 2 heures du matin. « Et je crains que ce ne soit pas terminé… »
Les pompiers comptabilisent déjà plus d’une centaine d’interventions. Alors que la ville connaissait un réveil difficile, jeudi, des habitants et proches du défunt invitent à une marche blanche, au Breil, à 18 heures, « en mémoire d’Aboubakar ».