Argentine : le fisc à la chasse des supporteurs du Mondial
Argentine : le fisc à la chasse des supporteurs du Mondial
Par Christine Legrand (Buenos Aires, correspondante)
Une enquête va vérifier si le niveau de dépenses des Argentins ayant fait le voyage en Russie pour la Coupe du monde est cohérent avec leurs revenus déclarés aux impôts.
Deux supporteurs de l’équipe d’Argentine brandissent un drapeau de leur pays lors du match de Coupe du Monde de football contre l’équipe de France, le 30 juin à Moscou. / SERGEI KARPUKHIN / REUTERS
A peine remis de la cuisante élimination de l’Argentine en huitième de finale du Mondial de football 2018, les supporteurs argentins qui ont fait le voyage en Russie pour soutenir la Sélection albiceleste risquent d’avoir un retour amer au pays.
L’Administration fédérale des recettes publiques (AFIP) a en effet lancé, début juillet, une vaste enquête afin de croiser le montant des dépenses des supporteurs argentins en Russie avec leurs déclarations d’impôts, pour vérifier s’ils ont bien déclaré tous leurs biens et leurs revenus.
La direction des impôts a ainsi contacté les agences de voyage pour avoir la liste des personnes qui ont acheté des billets, mais aussi la direction des migrations – qui gère les entrées et sorties du territoire – pour vérifier l’identité de ceux qui ont voyagé en Russie à partir du 1er juin. Le fisc épluchera également, à partir du mois d’août, les relevés des cartes de crédit pour visualiser les dépenses effectuées pendant l’événement sportif. Il consultera en outre la base de données du « Fan ID », un document officiel d’identification des visiteurs étrangers établi par le gouvernement russe pour renforcer les mesures de sécurité pendant la Coupe du Monde.
Une centaine de cas auraient déjà été détectés. Parmi eux, celui d’un supporteur dont l’image avait circulé sur les réseaux sociaux parce qu’il avait posté une vidéo sur Facebook dans laquelle il se moquait des femmes russes. Cet Argentin, dont le nom est préservé par le secret fiscal – il n’a pas été le seul à publier des commentaires sexistes –, n’a jamais fait de déclaration d’impôts.
L’évasion fiscale « deuxième sport national »
Quelque 54 000 Argentins ont fait le voyage en Russie, selon le nombre d’entrées aux stades comptabilisé par la Fédération internationale du football argentin. Un voyage qui, au gré des déplacements de la Sélection argentine entre Moscou, Saint Petersbourg, Nizhni Novgorod et Kazan, pourrait avoir coûté entre 8 000 (plus de 6 800 euros)et 30 000 dollars (plus de 25 500 euros) .
« Après le foot, l’évasion fiscale est le deuxième sport national », ironise un dicton à Buenos Aires. Le responsable de l’AFIP, Leandro Cuccioli, estime qu’elle atteint 35 % en Argentine, alors que la moyenne est de 15 % dans les pays développés. « Il sera chaque jour plus difficile de dissimuler », observe toutefois M. Cuccioli.
Ce n’est pas la première fois que le monde du football est dans le collimateur de l’AFIP. Après le Mondial 2014, au Brésil, le fisc argentin avait déjà mené une enquête, épinglant une centaine de contribuables qui avaient dépensé beaucoup plus que ce que leurs revenus déclarés leur auraient permis.
En octobre 2016, le fisc avait porté plainte contre plusieurs grands clubs de football du pays qui avaient omis de payer leurs impôts alors qu’ils bénéficiaient d’une fiscalité avantageuse. Un petit groupe d’agents argentins, bien connus dans le milieu du football, figuraient dans l’enquête « Football Leaks », révélée par le groupe de médias d’investigation EIC.
En août 2016, le président de droite, Mauricio Macri, (qui fut le président du club populaire de Boca Juniors entre 1995 et 2008) avait lancé un plan d’amnistie fiscale visant à régulariser 20 milliards de dollars de fonds et de biens détenus par des Argentins à l’étranger et non déclarés à l’AFIP. Cette régularisation massive avait été un grand succès, le gouvernement ayant réussi à rapatrier beaucoup plus que prévu, soit quelque 120 milliards de dollars.
M. Macri a été cité dans le scandale des « Panama Papers » aux côtés de centaines de ses compatriotes, dont le joueur de football Lionel Messi. Concernant le chef de l’Etat, la justice argentine a refermé le dossier en août 2017, faute de preuves.