Le discours de Barack Obama à Johannesbourg instrumentalisé par l’extrême droite américaine
Le discours de Barack Obama à Johannesbourg instrumentalisé par l’extrême droite américaine
Par Nina Jackowski
Alors qu’ils rendaient hommage à Nelson Mandela, certains propos de l’ex-président des Etats-Unis, mardi, en Afrique du Sud, ont eu un retentissement inattendu auprès de l’« Alt-Right ».
L’ex-président des Etats-Unis, Barack Obama, au campus African Leadership Académy, à Johannesbourg, le 17 juillet 2018. / Themba Hadebe / AP
Barack Obama, là où on ne l’attend pas. Certains extraits de l’allocution prononcée, le 17 juillet, à Johannesbourg (Afrique du Sud), par l’ancien président des Etats-Unis, jour précédant le centième anniversaire de la naissance de Nelson Mandela, héros de la lutte anti-apartheid, ont reçu un écho favorable auprès d’un public habituellement peu sensible à ses arguments : la frange extrême de la droite américaine, ou « Alt-Right », a repris ses propos, quitte à les détourner et les instrumentaliser.
C’est ainsi qu’une phrase dans laquelle M. Obama estime qu’il ne faut pas faire taire les individus parce qu’ils sont « blancs » ou « mâles », a été reprise de nombreuses fois : la démocratie exige de « comprendre la réalité des individus qui sont différents de nous. (…) Vous ne pouvez pas le faire si vous croyez que ceux qui ne sont pas comme vous parce qu’ils sont blancs, ou parce qu’ils sont des hommes… manquent en quelque sorte de compréhension pour porter certaines problématiques », a déclaré l’ex-président.
Partageant cet extrait, Dave Rubin, célèbre animateur de talk-show politique américain, « The Rubin Report » (diffusé sur YouTube), a, dans un message posté sur son compte Twitter, souhaité la bienvenue à l’ancien président, qui, selon lui, aurait désormais basculé du côté obscur du Net, le « Dark Web Intellectuel ».
Welcome to the Intellectual Dark Web, @BarackObama... https://t.co/gG6qE57T5g
— RubinReport (@Dave Rubin)
« Nous sommes unis par une humanité commune »
Se posant en ennemi du politiquement correct, M. Rubin s’attaque régulièrement à la question des groupes politiques identitaires, qui excluent ceux qui ne partagent pas leur « oppression ». Suivant la même ligne, le site du magazine conservateur National Review titre « Ne faites pas taire les individus simplement parce qu’ils sont “blancs” ou “mâles” ». Dave Rubin dénigre une gauche victimaire et exclusive, défendant l’idée que seule la communauté noire pourrait se comprendre, et donc se représenter politiquement.
Le commentateur politique se réjouit des progrès de Barack Obama en la matière, ajoutant qu’« il n’y a rien de progressiste à classer les gens par leur couleur de peau ou par leur genre ». M. Obama a toujours affirmé sa volonté de transcender les origines ethniques et les genres, souhaitant unifier l’Amérique. « Nous sommes unis par une humanité commune », tel est l’enseignement à retenir du premier président sud-africain noir, a affirmé l’ancien président américain lors de son hommage à Nelson Mandela. Son modèle a su tendre la main à ceux qui l’ont emprisonné durant vingt-sept ans afin de bâtir le pays unifié dont il rêvait, avait-il déclaré.
C’est sur ce thème que le jeune avocat et professeur de droit Barack Obama est sorti de l’ombre le 27 juillet 2004, lors de son célèbre discours « L’Audace de l’espoir », prônant une Amérique réconciliée : « Il n’y a pas une Amérique noire, une Amérique blanche, une Amérique hispanique, il y a une Amérique des Etats-Unis. »
Cette ligne politique a suscité maintes critiques de la part de son électorat durant son mandat, ses mesures visant la réduction des discriminations envers les Noirs étant jugées insuffisantes.
Mondialisation et « poor white trash »
Pour sa part, le site d’extrême droite Breitbart, relayant régulièrement de fausses informations, reprend les extraits du discours de M. Obama concernant les « nouvelles élites internationales » qui seraient déconnectées « des luttes des gens ordinaires dans leurs pays d’origine ». Pour la communauté Alt-Right, les Etats-Unis auraient renoncé à leur grandeur en succombant à la mondialisation, menant aux licenciements des « poor white trash », les héritiers des ouvriers industriels blancs grands bénéficiaires du rayonnement industriel de l’Amérique d’après-guerre.
Anciennement dirigé par Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump, Breitbart relève des extraits de l’allocution afin de mieux dénoncer l’immigration à bas coût. Son constat : « Les géants de l’industrie et de la finance » sont inconscients du ressentiment éprouvé par « un ancien ouvrier, lorsqu’il se plaint qu’un nouveau travailleur ne parle pas sa langue sur le chantier dans lequel il travaillait par le passé. »
Dans son discours, M. Obama a pourtant adressé de nombreuses piques à son successeur, sans jamais le nommer, portant sur ses discriminations raciales en matière d’immigration. Il a surtout souhaité mettre en lumière les inégalités économiques grandissantes dans le monde. Défenseur d’un « capitalisme inclusif à la fois au sein des nations et entre les nations », il a conseillé aux personnes les plus aisées d’apprendre à partager leur richesse.
Le site InfoWars, l’un des principaux sites de l’extrême droite américaine, s’est, lui, focalisé sur le message d’unification porté par M. Obama pour évoquer la condition des fermiers blancs en Afrique du Sud, en écho aux « poor white trash » américains.
Diffusant régulièrement des théories conspirationnistes, le site conclut sa reprise du discours d’Obama par ce thème récurrent au sein de l’Alt-Right : « Le message d’unification est plus que nécessaire en Afrique du Sud où les tensions raciales ont atteint des niveaux alarmants de fermiers blancs ciblés et assassinés. »
Citant un porte-parole de la police sud-africaine, le site de vérification Africa Check rappelle toutefois que, si les meurtres de fermiers restent un sujet préoccupant, les statistiques ne comportent plus, depuis le début des années 2000, d’informations relatives à la couleur de peau des victimes.