« La force conjointe du G5 Sahel ne doit pas être un supplétif de l’opération Barkhane »
« La force conjointe du G5 Sahel ne doit pas être un supplétif de l’opération Barkhane »
Par Mohamed Fall Oumeir
Selon le journaliste Mohamed Fall Oumeir, le nouveau commandant mauritanien du G5 Sahel doit être exigeant dans la composition et la gestion de ses bataillons.
Tribune. La décision était attendue depuis la dernière rencontre entre les chefs d’Etat des cinq pays du G5 Sahel avec leur homologue français à Nouakchott, en marge du sommet de l’Union Africaine qui s’est tenu les 1er et 2 juillet en Mauritanie. L’une des principales questions soulevées à cette occasion était le remplacement du commandement malien de la force conjointe du G5 Sahel et la nomination d’un Mauritanien et d’un Tchadien.
Le président français Emmanuel Macron avait insisté pour inscrire la question à l’ordre du jour. Le général malien Didier Dacko et son adjoint, le colonel major burkinabé Yaya Séré devaient céder leurs places au plus vite. L’attaque, le 29 juin, du PC de la force conjointe à Sévaré au Mali justifiait largement les critiques formulées à l’encontre de ce commandement.
Le général Hanenna Ould Sidi, jusque-là chef d’état-major adjoint des armées mauritaniennes, et le général tchadien Oumar Bikimo, ont donc été désignés par leurs pays respectifs pour commander la force.
Tous deux ont été choisis sur la base de leur expérience et de leur notoriété, tant dans leurs pays que dans la région concernée.
Force de frappe et dialogue
Le général Hanenna Ould Sidi a participé aux premières expéditions punitives engagées par la Mauritanie contre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC algérien), devenu Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Il a été chef du contre-espionnage, le cœur du renseignement militaire mauritanien, avant d’être désigné adjoint du chef d’état-major des armées, poste qu’il occupait jusqu’à présent.
Les efforts consentis par la Mauritanie en vue de mettre à niveau son armée pour faire face aux menaces terroristes ont certainement porté. Quand la garnison de Lemgheity (nord-est) avait été attaquée le 5 juin 2005, la Mauritanie était incapable d’organiser une expédition punitive dans le nord du Mali. Mais le renversement du régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi en 2008 par Mohamed Ould Abdel Aziz, l’actuel président, et la reprise des attaques contre la Mauritanie en septembre de la même année, ont poussé le pays à s’occuper sérieusement de la sécurisation de son espace.
Une opération de restructuration de l’armée fut engagée, ainsi qu’une guerre ouverte contre le terrorisme, qui devait s’étendre jusqu’en 2011 avec des incursions en territoire malien.
Parallèlement, la Mauritanie a engagé une approche intellectuelle visant à remettre en cause les fondements idéologiques et les lectures fallacieuses des textes de base de l’islam. Ce qui a permis le repentir d’une soixantaine de prisonniers djihadistes, libérés et jamais retournés au combat.
L’ensemble de cette approche alliant force de frappe et dialogue en vue de contenir la propagande idéologique, constitue la stratégie mauritanienne qui a permis au pays d’éviter le pire et d’être épargné par les attaques terroristes.
Dialogue
Fort de cette expérience, le commandement mauritanien peut inspirer sur le théâtre malien. D’abord en faisant respecter les critères d’évaluation des bataillons proposés par chaque pays pour constituer la force conjointe du G5.
Il ne faut pas accepter des bataillons formés par une communauté donnée. Dans un espace où chaque groupe cherche à se protéger, voire à prendre le dessus sur les autres, il est dangereux d’intégrer dans cette force conjointe des unités qui ressemblent plus à des milices qu’à une armée nationale régulière. Les exactions qui peuvent être commises le seront au nom du G5, ce qui pourrait aliéner la relation avec les populations. L’objectif étant de rétablir la confiance entre les forces armées et la population, il importe de fermer les portes à toutes les dérives en les sanctionnant sévèrement. Rompre définitivement avec l’impunité qui règne actuellement.
Il faut engager un dialogue avec les représentants des communautés susceptibles d’accueillir et de soutenir les mouvements armés. Pour ce faire, le G5 Sahel doit accélérer la mise en œuvre de l’accord de paix signé à Alger en 2015 entre le gouvernement malien, les séparatistes touaregs et d’autres groupes armés, qui tarde à être appliqué. Le futur gouvernement malien doit s’engager là-dessus.
Ce dialogue doit aussi toucher l’ensemble de la société malienne pour permettre, à terme, une adhésion populaire au plan de paix.
Si les actions d’accompagnement de la mise en place de la force conjointe du G5 ne sont pas entreprises, son échec est prévisible. Elle ne sera qu’une force supplétive de l’opération française « Barkhane ».
Quand elle est intervenue en 2013 au Mali, la France avait voulu stopper l’avancée djihadiste au sud, puis libérer le nord occupé par différentes milices : le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Ansar Eddine, autre expression du nationalisme touareg, AQMI avec ses nuances multiples (Al-Mourabitoune, Emirat du Sahara, Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest). Aujourd’hui, la plupart de ces mouvements sont regroupés au sein d’une nébuleuse appelée Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), dirigé par le Touareg malien Iyad Ag-Ghali et dont les principales figures sont des autochtones bien enracinés dans le tissu socia malien. Ils frappent encore durement et entendent élargir le théâtre de leurs opérations à tout l’espace ouest-africain.
Le défi est grand. La menace, encore plus réelle que par le passé. Il faut du courage et de la détermination pour relever ce défi et juguler la menace.
Mohamed Fall Oumeir est un journaliste mauritanien, directeur de publication du journal « La Tribune »