Jean-Claude Juncker et Donald Trump dans la Roseraie de la Maison Blanche à Washington (Etats-Unis), le 25 juillet. / ALEX BRANDON / AP

La conférence fut convoquée à la dernière minute dans la Roseraie de la Maison Blanche… pour annoncer un armistice commercial entre l’Europe et les Etats-Unis. Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a certes fait comme si l’affaire était jouée d’avance : « j’avais l’intention de parvenir à un accord aujourd’hui. Et nous avons un accord aujourd’hui », a-t-il déclaré ce mercredi 25 juillet. En réalité nul ne tablait réellement sur un compromis, lequel a fait dire à Donald Trump qu’« aujourd’hui est un très grand jour pour le commerce libre et équitable ». « Super d’être à nouveau sur la bonne voie avec l’Union européenne », s’est réjoui le locataire de la Maison Blanche sur Twitter.

Dans le détail, les Américains et les Européens se sont engagés à mettre en place un groupe de travail en faveur de plus de libre-échange transatlantique. « Nous nous sommes mis d’accord pour travailler vers l’objectif d’avoir zéro droit de douane, zéro barrière non tarifaire et zéro subvention sur les biens industriels hors automobile », a expliqué M. Trump en lisant le communiqué commun européo-américain.

En attendant, la menace de taxer jusqu’à 25 % les importations d’automobiles européennes est suspendue tandis que les deux parties travailleront à mettre fin à la guerre de l’acier et de l’aluminium même si les droits imposés par les Américains et les représailles décidées par les Européens ne sont pas suspendus. Les Européens s’engagent à acheter plus de gaz naturel et de soja américain. Les deux ensembles économiques vont œuvrer à une réforme de l’organisation mondiale du commerce (OMC).

Trump l’a joué à la « nord coréenne »

Quels sont les enseignements à tirer de l’affaire ? D’abord, les Européens ont obtenu l’essentiel : la menace immédiate de droits de douane sur l’automobile est repoussée. « Nous nous sommes entendus pour qu’aucun droit additionnel ne soit décidé tant que nous négocions », a assuré après la réunion Jean-Claude Juncker. Le communiqué ne détermine aucun délai à la négociation, ce qui satisfait les Européens. Les ultimatums successifs lancés par les Américains sur l’acier et l’aluminium ont mis ces derniers dans une seringue et ont conduit, in fine, à l’imposition des droits. L’automobile est exclue de l’objectif zéro droit de douane, ce qui fait que l’Europe ne capitule pas par avance sur le sujet.

Pourquoi Donald Trump a-t-il bougé ? L’explication, toujours plus facile ex post, semble largement interne. La grogne monte chez les constructeurs automobiles américains mais aussi les industriels les plus protectionnistes et anciens chouchous du locataire de la Maison Blanche, tels le fabricant de motocycles Harley Davidson ou le fabricant de lave-linge Whirlpool qui ont annoncé cette semaine de mauvais résultats en raison de la guerre commerciale ; les Républicains sont de plus en plus remontés, à l’approche des élections de mi-mandat, surtout dans les terres agricoles du Midwest, frappées par les représailles chinoises et mexicaines qui taxent le soja et le porc. En conséquence, Donald Trump a dû annoncer, mardi, 12 milliards de dollars d’aides aux agriculteurs, qui n’ont pas convaincu, les élus estimant que la meilleure manière de corriger les effets des guerres commerciales n’est pas de renflouer ses victimes mais d’arrêter ces guerres.

S’y ajoutent les jeux d’influence sans cesse mouvants à la Maison-Blanche : le très protectionniste conseiller commercial Peter Navarro était absent lundi et c’est le conseiller économique, Larry Kudlow, ancien des équipes Reagan et libre-échangiste qui semble avoir eu l’oreille du président. L’ancien commentateur de télévision avait préparé mardi soir un projet de communiqué avec les équipes de Jean-Claude Juncker. Résultat : Donald Trump, plutôt que de la jouer « à l’iranienne » l’a joué à la « nord coréenne », et effectué un retournement spectaculaire.

Les Européens lui ont donné quelques gages symboliques : l’objectif « zéro droit de douane » était un défi lancé depuis longtemps par M. Trump aux Européens. L’achat de soja, dont le cours baisse et qui n’est pas soumis à droits à l’importation en Europe, pourra offrir un débouché aux « farmers » frappés par les contre-sanctions chinoises – « je vous remercie pour cela, Jean-Claude », a déclaré M. Trump ; l’acquisition de gaz naturel liquéfié, qui plaira aux amis pétroliers du locataire de la Maison Blanche et va dans le sens d’une moindre imbrication géostratégique entre l’Europe – en particulier l’Allemagne, via le pipeline à travers la baltique Northstream – et la Russie.

Unité sur le dos des Chinois

Dans la négociation, les Américains se sont contredits entre eux devant Donald Trump et la délégation européenne médusée. Les plus durs de l’équipe Trump, le représentant au commerce Robert Lighthizer voire le secrétaire au trésor Steve Mnuchin auraient voulu inclure les produits agricoles dans l’objectif zéro droits de douane. M. Juncker a fait savoir qu’il n’avait pas de mandat des vingt-huit Etats-membres et laissé entendre que dans ce cas, les Européens exigeraient la fin du « buy american act », qui protège les entreprises américaines dans les marchés publics, et vache sacrée américaine.

Enfin, l’unité s’est refaite sur le dos des Chinois. La réforme de l’organisation mondiale du commerce implique, selon les mots du communiqué lu par Donald Trump, de « traiter le problème des pratiques commerciales inéquitables, notamment le vol de propriété intellectuelle, le transfert forcé de technologie, les subventions industrielles, les distorsions créées par les entreprises possédées par l’État et les surcapacités ». Ainsi, les Etats-Unis et l’Europe font-ils désormais bloc, à en croire Donald Trump : « Les Etats-Unis et l’Union Européenne comptent ensemble plus de 850 millions de citoyens et représentent la moitié du PIB mondial. En d’autres termes, ensemble, nous formons plus de 50 % du commerce. Si nous faisons équipe, nous pouvons rendre notre planète meilleure, plus sûre et plus prospère. »

Restent deux interrogations. D’abord la réaction en Europe à cette négociation avec l’Amérique de Trump à moins d’un an des élections européennes. Jean-Claude Juncker estime qu’il ne s’agit pas d’une relance du traité de libre-échange transatlantique, vivement contesté par les opinions publiques, notamment française et allemande. Il estime qu’il n’a pas besoin de mandat de négociation et que celui-ci sera demandé, si nécessaire, aux Etats-membres, un fois que le groupe de travail, présidé par la commissaire au commerce Cecilia Malmströem et le représentant au commerce Robert Lighthizer sera parvenu à la fin de ses travaux – « d’ici à quelques mois », espère M. Juncker. Deuxième interrogation, Donald Trump fera-t-il avec l’Europe ce qu’il a fait au printemps avec la Chine : annoncer un armistice dans la guerre commerciale et repartir à l’attaque de plus belle après avoir été critiqué par son opinion publique et ses propres conseillers ? Mais pour l’instant, les Européens n’ont guère de meilleure option que de faire confiance à Donald Trump. Ils espèrent en avoir fini des négociations par tweets et des invectives interposées. La réponse viendra rapidement.