Au procès Méric, Esteban Morillo regrette ses anciennes « fréquentations »
Au procès Méric, Esteban Morillo regrette ses anciennes « fréquentations »
Par Yann Bouchez
Accusé d’avoir mortellement frappé le militant antifasciste Clément Méric en juin 2013, Esteban Morillo dit avoir « changé ».
Esteban Morillo arrive pour l’ouoverture du procès Méric, aux assises de Paris, le 4 septembre. / ERIC FEFERBERG / AFP
Esteban Morillo a-t-il changé ? A première vue, difficile d’affirmer le contraire. Il y a cet élégant costume noir, parfaitement ajusté, chemise et chaussures assorties. Ce corps empâté, alourdi d’une trentaine de kilos. Et puis ces cheveux bien coiffés, d’où s’échappe une petite mèche. Physiquement, l’homme de 25 ans qui comparaît aux côtés de deux coaccusés devant la cour d’assises de Paris, depuis mardi 4 septembre, n’a plus grand-chose à voir avec le jeune skinhead d’extrême droite qui a reconnu avoir asséné des coups mortels au militant antifasciste Clément Méric, le 5 juin 2013, lors d’une rixe.
D’ailleurs, lorsque la présidente, Xavière Simeoni, lui demande, mardi après-midi : « Comment vous décririez-vous aujourd’hui ? », la réponse d’Esteban Morillo fuse. Un seul mot : « Changé. » A la relance de la juge, il ajoute : « Je suis plus réfléchi, moins influençable. » Quelques secondes après : « Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme j’étais avant. » Voilà une phrase qui résume toute la difficulté et le paradoxe de sa position devant la cour. Comment assurer qu’il a changé sans trop s’étendre sur qui il était « avant » ?
A peine majeur, il commence à fréquenter Le Local
Alors que la rixe mortelle de 2013 n’a pas été évoquée dans le détail mardi, la personnalité d’Esteban Morillo a occupé une bonne partie des débats du premier jour d’audience. L’accusé, qui encourt vingt ans de prison pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », commises en réunion et avec armes, a raconté une enfance plutôt banale.
L’histoire d’un garçon « pas très sportif », « très proche de [sa] famille », pas vraiment porté sur l’école. De l’agression sexuelle dont il a été victime vers l’âge de 10 ans, il ne parle pas. Il nie s’être fait confisquer des bagues néonazies au centre de formation d’apprentis (CFA) de Laon (Aisne), et en avoir été exclu en 2010. Toujours est-il que quelque mois plus tard, il abandonne ses rêves de pâtisserie, se reconvertit dans la sécurité.
Son aventure avec l’extrême droite remonte à cette année-là. Ce « milieu », assure-t-il, « je suis rentré dedans pour être avec mes amis ». Des « amis du CFA » le présentent à d’autres « amis » lorsqu’il arrive à Paris, à peine majeur. Esteban Morillo commence à fréquenter Le Local, un bar du 15e arrondissement géré par Serge Ayoub, figure connue des skinheads.
« J’ai fait quelque temps à Troisième Voie, le groupe de Serge Ayoub, admet le jeune homme. D’après ce qu’on m’en a dit, c’était un syndicat ni de droite, ni de gauche, avec une conviction solidariste. » « C’est quoi, une conviction solidariste ? », demande la juge. Réponse : « Je ne sais pas. » Esteban Morillo l’assure : « Je ne les ai aidés que pendant six mois. » Pour « faire le nombre et venir avec [ses] amis » aux manifestations.
« J’ai l’impression que vous avez gommé »
Car l’accusé martèle qu’il ne s’intéresse pas à la politique. Son tatouage « travail-famille-patrie » sur l’un de ses bras ? « Je ne savais pas que c’était le régime de Vichy, je trouvais que la devise était belle. » Celui de Troisième Voie, sur son torse ? « Pour impressionner les amis. » Ces marques sur son corps, il les a d’ailleurs fait recouvrir cet été. Et il assure avoir voulu quitter ce milieu bien avant la rixe mortelle : « J’essayais de sortir de tout ce qui est extrême droite, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. »
Il ne voulait « pas faire de vague ». Ainsi explique-t-il sa participation à une manifestation d’extrême droite, le 9 mai 2013, peu avant la mort de Clément Méric. « Comme j’étais habillé en noir, on m’a demandé de porter un drapeau. » Il dit ne plus se rappeler ce qui était écrit dessus. « Jeunesses nationalistes révolutionnaires », un groupuscule de Serge Ayoub, lui remémore Cosima Ouhioun, avocate de la famille de Clément Méric. Et Serge Ayoub, justement, au côté duquel il apparaît ? « Je suis sur la photo avec lui, mais je n’étais pas proche. » Sur sa page Facebook de l’époque, Esteban Morillo aimait Mein Kampf. Il dit ne plus s’en souvenir.
« Changé ? Moi j’ai l’impression que vous avez gommé, l’interpelle Me Christian Saint-Palais, qui défend lui aussi les parents de Clément Méric. Ça ne s’appelle pas changer. » L’avocat général, Rémi Crosson du Cormier, fait mine de s’interroger : « Comment se fait-il que vous ne vous ayez pu oublier autant de choses alors que vous êtes si jeune et que ces choses sont si graves ? »
En fin de journée, Colette Morillo, la mère, a décrit un fils « juste et honnête », plombé par les « mauvaises rencontres ». Les tatouages, elle n’approuvait pas vraiment. Serge Ayoub, dit-elle, n’est « pas [sa] tasse de thé ». Mais de ce passé, elle aussi préférerait ne pas trop parler : « J’espère qu’on ne le jugera pas sur toute sa vie, mais juste sur les faits. »