« Aquarius » : « Nous n’arrêterons notre mission que sous la force et la contrainte »
« Aquarius » : « Nous n’arrêterons notre mission que sous la force et la contrainte »
Propos recueillis par Faustine Vincent
Francis Vallat, président de SOS Méditerranée France, revient sur la décision du Panama de retirer son pavillon au bateau humanitaire, et appelle à un « sursaut des Etats européens ».
La poursuite de la mission de sauvetage de l’Aquarius est en partie entre les mains de la France. Les ONG SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, qui ont affrété le bateau humanitaire, ont demandé aux autorités françaises de permettre « à titre exceptionnel » au navire d’accoster à Marseille avec 58 migrants à son bord, a annoncé le directeur des opérations de SOS Méditerranée, Frédéric Penard, le 24 septembre à Paris.
L’Aquarius, actuellement dans les eaux internationales au large de la Libye, a commencé à faire route vers la ville du sud de la France, port d’attache du navire et siège de SOS Méditerranée. L’objectif est d’y mettre les migrants sauvés « à l’abri » et d’y « mener le combat » pour trouver un nouveau pavillon, le Panama ayant annoncé samedi qu’il allait lui retirer le sien, ce qui interdira au bateau de naviguer, et donc de poursuivre sa mission.
La France a répondu lundi soir qu’elle cherchait « une solution européenne », selon le principe du « port sûr le plus proche » du navire.
« Révolté » et « choqué », Francis Vallat, président de SOS Méditerranée France, revient sur les conséquences de la décision du Panama, et appelle à un « sursaut des Etats européens » afin de pouvoir poursuivre la mission de l’Aquarius.
Comment réagissez-vous à la décision du Panama de retirer son pavillon à l’“Aquarius” ?
Francis Vallat : C’est une honte et c’est révoltant. J’ai été armateur pendant plus de trente ans. C’est du jamais-vu dans l’histoire maritime depuis au moins la seconde guerre mondiale. Quand vous battez pavillon d’un pays, il ne peut vous être retiré que parce que vous ne vous pliez pas aux règles ou aux conventions internationales. Ce n’est pas le cas de l’Aquarius, qui respecte scrupuleusement les règles et agit en toute transparence.
C’est la poursuite de la criminalisation des ONG à laquelle nous assistons depuis plus d’un an. L’Aquarius est la cible de mensonges et d’une désinformation incroyable. On nous accuse même d’être payés dans des paradis fiscaux et de participer au trafic de migrants ! Cela alimente un climat anxiogène et une haine qui dépassent la question de ce navire humanitaire.
Comment analysez-vous la décision du Panama ?
C’est politique. Le pays a lui-même reconnu avoir subi des pressions de la part de l’Italie, qui a menacé d’interdire l’accès aux ports italiens des bateaux battant pavillon panaméen. Or, il représente la plus grosse flotte mondiale : que pesait le petit Aquarius face à cela ?
Depuis que le ministre de l’intérieur italien [issu de l’extrême droite] Matteo Salvini est au pouvoir, tous les moyens sont bons pour arrêter l’Aquarius. Nous sommes perpétuellement pourchassés.
Cette attitude s’explique par le fait que l’Italie a été laissée seule pendant des années face au problème migratoire. Cela a créé un sentiment antieuropéen et hostile aux migrants très fort. Aujourd’hui cela explose d’un coup, dans un contexte très anxiogène où les gens redoutent que le modèle social européen soit menacé.
C’est irrationnel, d’ailleurs, puisque jamais les flux de réfugiés n’ont été aussi bas qu’actuellement. Ils ont été réduits de 80 %. La seule chose qui augmente, c’est le nombre de morts : on est passé de 1 mort sur 42 naufragés l’an dernier pour ceux qui tentent la traversée en Méditerranée centrale à 1 mort sur 18 cette année.
Cela fait deux fois que l’“Aquarius” perd son pavillon, après Gibraltar. Redoutez-vous que sa mission soit condamnée ?
Je n’arrive pas à croire que les Etats démocratiques européens, qui sont des Etats de droit avec des principes et des valeurs, n’aient pas un sursaut. Mais c’est vrai que j’en ai peur. C’est pour cela que nous lançons un appel solennel aux autorités européennes, et en particulier françaises, pour qu’elles nous aident à trouver une solution afin que le Panama revienne sur sa décision.
Si cette option échouait, nous demanderions aux Etats européens de nous donner un pavillon. En troisième option, nous souhaitons qu’ils nous aident à trouver un pavillon ailleurs, dans le monde.
Quoi qu’il en soit, nous n’arrêterons notre mission que sous la force et la contrainte. La solution ne peut pas être d’avoir 150 000 morts de plus aux portes de l’Europe, comme cela a été le cas depuis le début de cette crise. Nous ne faisons que notre devoir.
Beaucoup de Français se rendent d’ailleurs bien compte que la meilleure façon de perdre notre identité, ce n’est pas cette « invasion » largement fantasmée, mais le renoncement à nos valeurs démocratiques et européennes. C’est notre socle.