Maison Château Rouge, une marque afro à la conquête du monde
Maison Château Rouge, une marque afro à la conquête du monde
Par Solène Pirio
Née en 2015 dans le quartier africain de Paris, la griffe de Youssouf Fofana s’invite à la Fashion Week et jusque dans les boutiques branchées de Londres, Tokyo ou Pékin.
La collection été 2018 de la marque. / Maison Château Rouge
A Paris, le 40bis rue Myrha casse les codes. Vue de la rue, la boutique Maison Château Rouge rompt avec l’alignement des échoppes de tissus traditionnels et des épiceries exotiques. Le 40bis est un temple de l’afrostreetwear au beau milieu du 18e arrondissement, le plus populaire de la capitale. Ici, la griffe parisienne joue une partition bobo, urbaine et mondialisée.
De temps à autre, un Uber s’arrête devant la boutique « et ce sont des touristes qui débarquent, espérant trouver ici un produit en rupture de stock aux Galeries Lafayette » , s’amuse Youssouf Fofana, cofondateur de cette jeune marque qui compte déjà des points de vente à Londres, à Tokyo ou à Pékin. Ces citoyens du monde repartiront probablement avec le tee-shirt « Hirondelle », best-seller de Maison Château Rouge.
Tout semble désormais possible pour celui qui, avec son frère Mamadou Fofana, a déjà écrit une success story. Du haut de ses 31 ans, ce fils d’immigrés sénégalais, né dans une fratrie de sept enfants et scolarisé à Villepinte (Seine-Saint-Denis), a fait de l’imprimé wax une étoffe chic et, en trois ans seulement, est devenu un modèle, au point que le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, l’a embarqué dans sa première tournée en Afrique, en novembre 2017.
Wax, denim, jersey
En ce mois d’octobre, les nouveaux arrivages débarquent au compte-gouttes. Pour l’hiver 2018/2019, place aux pantalons chino, combinaisons et sweat-shirts mixtes bigarrés. Quelques jours plus tôt, à la Maison de l’architecture, l’entrepreneur présentait sa collection printemps-été 2019 à l’occasion de la Semaine de la mode de Paris. Youssouf Fofana a dû passer en revue les dernières commandes de tissus, s’assurer qu’il ne manquait aucun élément de décor et que chaque membre de l’équipe était bien à son poste.
« L’industrie de la mode a des codes et des calendriers qu’il faut comprendre et maîtriser. Si on ne les respecte pas, on n’est pas visible », analyse celui dont la marque, qui affiche 56 000 followers sur Instagram, a bénéficié de la présence dans les rayons de l’enseigne Monoprix d’une de ses collections mêlant prêt-à-porter et lifestyle (coussins, plaids, assiettes, tabourets, etc.). Désormais, Youssouf Fofana cherche à satisfaire les acheteurs internationaux, afin de grandir encore et encore.
Bombers et pantalons en wax incrustés de motifs d’inspiration zouloue, robes-pagnes et sahariennes aux tons survitaminés, tee-shirts parés de dessins de masques africains… L’ADN qui a fait le succès de Maison Château Rouge n’a pas changé. Mais pour la saison prochaine, Youssouf Fofana marie les étoffes africaines à d’autres matières comme le denim, le molleton ou le jersey. Il faut se renouveler sans cesse pour ne pas voir sa cote de popularité retomber, estime-t-il. Surtout quand on a eu une ascension aussi fulgurante.
Bouteilles de bissap
La mode afro est arrivée un peu par hasard chez Youssouf Fofana. Diplômé en management, il a d’abord travaillé dans la banque, et sa vie aurait pu continuer ainsi. En 2014, il monte une association, Les Oiseaux migrateurs, pour accompagner de petites entreprises africaines. Son premier objectif est modeste : financer 1 000 bouteilles de bissap, du jus d’hibiscus, produit dans les régions de Thiès et Kaolack, au Sénégal. Faute d’investisseur extérieur, il lui faut lever des fonds : il crée alors cent tee-shirts qu’il met en vente sur Internet. C’est la révélation. Son stock de fringues branchées est vite épuisé, incitant le jeune homme à continuer… Et ce sont aujourd’hui quelque 50 000 bouteilles qu’il espère bientôt autofinancer.
« On connaît une croissance folle », confie-t-il, un peu dépassé. Mais au-delà du chiffre d’affaires, « on a surtout pu recruter, et nous accueillerons bientôt en alternance de nouveaux jeunes du Centre de formation d’apprentis de la rue Stephenson ». Le jeune patron, dont le moteur est, dit-il, moins « l’objectif financier » que la célébration du 18e arrondissement et de l’Afrique, se réjouit de ce virage vers la formation.
Pour Youssouf Fofana, « faire de la mode est un prétexte pour voir une Afrique qui entreprend », une Afrique industrieuse, qui invente en direct. D’ailleurs, quand d’autres peaufinent des défilés classiques, lui joue la convivialité. A la Maison de l’architecture, il a ainsi embarqué Ablaye Mar, le tailleur à qui l’on doit la confection de la nouvelle collection, pour que de ses ciseaux naissent, en direct, des tee-shirts en patchwork que les spectateurs se sont arrachés.
Savant mélange
Maison Château Rouge, c’est l’Afrique à Paris, mais aussi Paris en Afrique. La marque a cette année réalisé une ligne de sacs à main avec Sandstorm Kenya pour valoriser le made in Africa. « Là-bas aussi, les gens veulent consommer local. Le marché se développe », souligne Youssouf Fofana. Mais pas question pour le Français de s’emparer des parts de marché des marques présentes sur le continent.
Sa maison, avant tout parisienne, séduit « la diaspora qui souhaite consommer, mais de façon différente, des produits qu’elle a l’habitude de voir depuis toujours », analyse-t-il, mais aussi « un public en quête de sens ». Rythme de production lent (deux collections par an), fabrication locale, matière première de qualité signée Vlisco (le géant néerlandais du wax) : autant de critères plébiscités par les consommateurs. « Le luxe aujourd’hui, c’est l’authenticité. Le consommateur cherche une marque qui a des valeurs », commente l’entrepreneur.
Et cela, les boutiques hype de la capitale l’ont bien compris. Le savant mélange de culture urbaine et d’héritage africain de Maison Château Rouge a retenu, six mois seulement après son lancement, l’attention du très branché concept store parisien Merci. Une vitrine de taille pour le label avant celle, quelques mois plus tard, de Monoprix. Youssouf Fofana peine encore à réaliser : « Si on m’avait prédit il y a trois ans ce que ma marque allait devenir, je n’y aurais pas cru », avoue-t-il. Tout simplement.