Au Royaume-Uni, la fin de l’austérité pour le dernier budget avant le Brexit
Au Royaume-Uni, la fin de l’austérité pour le dernier budget avant le Brexit
Par Charlotte Chabas (Londres, intérim)
Après huit ans de restrictions, le pays profite d’une cagnotte fiscale inattendue pour reprendre les dépenses.
Philip Hammond et la traditionnelle mallette rouge du budget, lundi 29 octobre au 11, Downing Street. / Frank Augstein / AP
Comment construire un budget annuel, à cinq mois d’un événement dont on ignore encore tout, sinon qu’il va résolument changer la donne ? A défaut d’être devin, le chancelier de l’Echiquier, Philip Hammond, a pu compter sur un certain alignement des astres, lundi 29 octobre, à l’heure de présenter son dernier budget avant le Brexit.
A rebours de sa dernière prévision, l’Office for Budget Responsibility (OBR), l’organisme semi-indépendant chargé de surveiller les finances du royaume, lui a offert un joli cadeau, revoyant à la hausse la croissance attendue pour 2019 à 1,6 % au lieu de 1,3 %. Grâce à une activité économique plus forte qu’attendu et de meilleures recettes fiscales, le gouvernement pourra compter sur 13 milliards de livres, soit 14,6 milliards d’euros, supplémentaires sur l’exercice 2018-2019.
Cette cagnotte fait souffler un parfum d’épicurisme sur la Chambre des communes. Tant pis pour l’assainissement des finances publiques, l’heure est à cueillir l’instant. Pour contrer les promesses dispendieuses des travaillistes, Theresa May avait promis de desserrer les cordons de la bourse pour redonner un peu d’air à des services publics asphyxiés. « L’ère de l’austérité est en train de se terminer mais la discipline sera maintenue », a confirmé M. Hammond.
Coup de pouce pour la santé
Qui profitera des générosités gouvernementales, après huit années de restrictions budgétaires ? Mme May s’y était engagée en juin : le National Health Service (NHS), service de santé public, devrait recevoir la plus grosse enveloppe, avec 20,5 milliards de livres par an d’ici à 2024. Deux milliards de livres supplémentaires seront en outre consacrés aux maladies mentales.
Cette augmentation annuelle de 3,4 % reste inférieure à celle qu’a connue en moyenne le NHS depuis sa création, voilà soixante-dix ans. Mais elle représente un coup de pouce bienvenu dans un secteur en extrême souffrance, qui avait dû renoncer l’hiver dernier à des milliers d’opérations non urgentes faute de moyens.
Pour le reste, M. Hammond a annoncé pêle-mêle une aide aux petits commerces sous forme d’une baisse d’impôt de 900 millions de livres par an, le gel des taxes sur l’essence, un milliard de livres supplémentaire pour le ministère de la défense, ou encore 420 millions de livres contre cet universel fléau routier : le nid-de-poule. Même la pinte de bière devrait baisser de deux pences, à la faveur d’un gel des taxes sur certains alcools, dont le whisky ou le gin.
Régulièrement menacé de suppression devant le fiasco de sa mise en place, le « crédit universel », cette fusion de six allocations lancée en 2010 et qui inspire Emmanuel Macron pour son revenu universel d’activité, se verra allouer près de 1,7 milliard de livres sur cinq ans. Les écoles recevront 400 millions de livres pour couvrir « tous les petits extras dont elles ont besoin », selon M. Hammond. « Des professeurs, par exemple ? », ont raillé des députés de l’opposition, dont le chef de file, Jeremy Corbyn, a dénoncé des « saupoudrages en trompe-l’œil ».
Une taxe sur les géants du Net
Pour financer ces mesures, M. Hammond ne compte pas que sur la cagnotte fiscale. « Phil le comptable » a annoncé la création d’une taxe sur les géants du Net, à compter d’avril 2020. Elle devrait être calculée sur le chiffre d’affaires, et pourrait permettre de récolter 400 millions de livres par an. Difficile de ne pas y voir une flèche adressée à Bruxelles, qui piétine toujours à convaincre les 27 de s’accorder sur le sujet.
C’est que Londres se sait observé de près pour ce dernier budget avant de couper les ponts avec l’Union européenne. Dans son discours de quatre-vingts minutes, Philip Hammond, partisan d’un « soft Brexit », a rappelé combien ces bons indicateurs économiques étaient fragiles. Selon le National Institute of Economic and Social Research, la croissance du pays pourrait tomber de 1,9 % à 0,3 % en 2019 en cas de « no deal ». Quand, au contraire, un accord bien négocié avec Bruxelles pourrait permettre au pays de « doubler les dividendes du Brexit », veut croire M. Hammond. « Je suis confiant mais je ne suis pas complaisant. Donc nous continuerons à nous préparer à toutes les éventualités », a-t-il prévenu.
Un rappel très clair adressé aux députés de la très courte majorité. S’ils se risquent à ne pas soutenir Theresa May dans son plan dit « de Chequers », tous risquent de se retrouver en urgence au printemps 2019 pour un nouveau budget anticipé. Il ne serait plus question, alors, de prodigalité.