Mike Birch : « On peut regretter qu’il y ait tant d’argent dans la voile »
Mike Birch : « On peut regretter qu’il y ait tant d’argent dans la voile »
Par Véronique Malécot
Le navigateur canadien parraine le challenge « 98 secondes pour l’éternité », créé pour commémorer sa victoire lors de la première édition de la Route du Rhum, en 1978.
« Acapella » de Charlie Capelle est le sistership d’« Olympus Photo », le premier bateau vainqueur de la Route du Rhum. (Photo : OdysseePS.) / OdysseePS
Une tasse de thé à la main, Mike Birch est calé dans un coin de la cabine, délaissant le siège du pilote tout proche. Au dehors, les bruits de la foule venue admirer, à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), les bateaux de la onzième Route du Rhum. Mais le navigateur canadien s’en soucie peu. Il est venu dans la ville corsaire uniquement pour soutenir son vieil ami Charlie Capelle, qui prendra le départ de l’épreuve, dimanche 4 novembre, à bord d’Acapella, le bateau jumeau (ou sistership) du trimaran Olympus Photo, avec lequel il a lui-même remporté la première édition de la Route du Rhum en 1978.
C’est là, à bord de ce petit voilier de douze mètres à peine, que Le Monde a pu rencontrer le premier vainqueur de la Route du Rhum. « Mon père ne m’a jamais forcé à faire quelque métier que ce soit. » Du coup, Mike Birch a été successivement mineur, ouvrier du pétrole, puis cow-boy en Colombie-Britannique, avant de s’embarquer comme matelot sur un cargo pour rejoindre l’Angleterre.
« Arrivé là-bas, je me suis renseigné sur la manière de me procurer un bateau. J’ai alors rencontré Peter Haward [un convoyeur professionnel]. C’est ainsi que je suis venu à la voile, en convoyant des bateaux », se souvient le marin qui semble regretter de ne pas avoir commencé dès son enfance, comme nombre de coureurs.
Une autre rencontre sera ensuite déterminante, celle de Walter Greene, un constructeur de bateaux dans le Maine, aux Etats-Unis, qui deviendra son ami. « Pour le premier Rhum, j’ai demandé à Walter Greene si je pouvais lui emprunter un bateau. Il m’a répondu oui, on partagera l’argent du prix. » Mike Birch était heureux.
« J’étais juste un type un peu fou. J’ai eu de la chance »
La suite, tout le monde la connaît. Le 28 novembre 1978, à la sortie du canal des Saintes en Guadeloupe, Olympus Photo surgit de nulle part et Mike Birch l’emporte avec 98 secondes sur Michel Malinovsky, dont la victoire était déjà annoncée. Le Canadien entre ainsi dans la légende de la course au large.
Modeste, le navigateur secoue la tête quand on lui rappelle que certains le voyaient comme un outsider en 1978. « Je n’ai jamais rêvé de remporter la Route du Rhum. J’étais juste un type un peu fou. J’ai eu de la chance. Tout est une question de chance. C’est cette Route du Rhum-là qu’il fallait gagner, je me suis amusé. »
Quarante ans plus tard, Mike Birch accompagne toujours la course. Il est le parrain du challenge « 98 secondes pour l’éternité », créé pour commémorer cet épisode mythique.
Trois marins vont tenter de reproduire le duel Olympus Photo – Kriter V. Deux, Charlie Capelle et François Corre, feront la course sur des sistership d’Olympus Photo. Face à eux, le Malouin Bob Escoffier tentera de les battre à bord du véritable Kriter V de Michel Malinovsky.
Mike Birch regarde par le hublot. On aperçoit Kriter V de l’autre côté du bassin. Son regard bleu azur pétille de malice : « Le bateau, là ? Je suis sûr qu’ils peuvent le battre. Charlie Capelle mène son bateau très bien depuis longtemps. C’est une bonne chose que quelqu’un comme lui puisse garder le même bateau des années et partir demain pour sa cinquième traversée avec lui, c’est fantastique. Il y a toujours un vrai lien entre le coureur et son bateau. »
« Personne ne connaît cette course »
Mike Birch regarde avec fierté à l’intérieur du petit trimaran jaune, dont il est le parrain. Un ordinateur a fait son apparition à la place de la table à cartes, quelques modifications de-ci de-là par rapport à Olympus Photo. Pour le marin, les trimarans de type A’Capella représentent le bateau « vraiment parfait ».
Il l’admet toutefois : « Maintenant, on ne pourrait plus gagner avec un bateau comme celui-là et dans ces conditions. » « Il y a de plus en plus de très gros bateaux très technologiques, c’est de plus en plus cher », relève-t-il. Pour le déplorer : « C’est dommage, mais même si on ne peut pas arrêter le progrès, on peut regretter qu’il y ait tant d’argent dans la voile ! »
Il regrette également que la Route du Rhum reste très franco-française. « Par exemple, chez moi, en Colombie-Britannique, personne ne connaît cette course. A l’est, on la connaît déjà un peu plus, mais ce n’est finalement pas très connu », déplore-t-il.
Mike Birch évoque son livre, J’ai chevauché les océans (mars 2017), posé sur le banc entre nous. Le marin reconnaît avoir, désormais, un peu tourné la page de la navigation. « J’ai encore un bateau en Colombie-Britannique, mais je ne parviens pas à le vendre. C’est triste. »
Pourtant, à la question de savoir s’il choisirait aujourd’hui de courir la Route du Rhum ou la Golden Globe Race, le tour du monde l’ancienne, le skippeur répond qu’il pencherait pour la seconde. « Elle doit être très dure. Partir comme cela sans moyens modernes… » Il sourit. « Vous savez j’ai dû apprendre tout seul à me servir d’un sextant. »
Ce 1er novembre, Mike Birch fêtait ses 87 ans, juste avant que la course qui l’a fait entrer dans la légende de la voile fête elle-même ses 40 ans, dimanche, avec une participation record de 123 concurrents.