Thierry Bolloré et Carlos Ghosn, le 8 novembre, dans l’usine Renault de Maubeuge (Nord), le jour de la visite d’Emmanuel Macron. / Franck CRUSIAUX/REA / Franck CRUSIAUX/REA

« Il y a une gouvernance solide qui assure le bon fonctionnement de Renault », Bruno Le Maire s’est voulu rassurant mercredi 21 novembre. Alors que la garde à vue de Carlos Ghosn au Japon a été prolongée de dix jours à l’issue des trois premiers jours de son incarcération, le constructeur français s’organise pour faire face à cette situation hors normes, a expliqué le ministre de l’économie.

Mardi 20 novembre, dans la soirée, le conseil d’administration de Renault a maintenu le patron dans ses titres et fonctions tout en reconnaissant son incapacité transitoire à diriger l’entreprise. « M. Ghosn, temporairement empêché, demeure président-directeur général, souligne le communiqué publié à l’issue de la réunion. Le conseil d’administration a nommé à titre provisoire monsieur Thierry Bolloré en qualité de directeur général délégué. Il exercera à ce titre la direction exécutive du groupe, disposant ainsi des mêmes pouvoirs que M. Ghosn. »

Seule différence avec la situation antérieure : M. Bolloré a désormais rang de mandataire social et a donc tout pouvoir pour défendre les intérêts de Renault au conseil de l’Alliance, aux Pays-Bas. M. Ghosn demeure formellement le président du groupe au losange. En son absence l’administrateur référent du conseil de Renault, Philippe Lagayette, dirigera le conseil d’administration mais il n’est en aucun cas le président par intérim de Renault. Thierry Bolloré est entré chez Renault en 2012, au moment où le groupe était déstabilisé par l’« affaire des faux espions chinois », impliquant des responsables du groupe. Cadre à haut potentiel, débauché de chez Faurecia, il a fait partie de la garde rapprochée de M.Ghosn. Il était chargé du pilotage des coûts et de la compétitivité avant que la voiture sorte de l’usine : design, ingénierie, qualité, nouveaux modèles, connectivité, logistique, fabrication… et était devenu le numéro deux du groupe en février. C’est un cousin très éloigné de Vincent Bolloré, le patron de Vivendi.

Le fossé se creuse entre Boulogne et Yokohama

En dépit de son incarcération, M. Ghosn n’est pas totalement coupé du monde. Il a rencontré l’ambassadeur de France au Japon et, selon nos informations, il a pu communiquer avec les principaux dirigeants de Renault, ne serait-ce que pour transmettre formellement ses pouvoirs à Thierry Bolloré. Il en aurait profité pour faire passer des messages qui ont abouti à la décision du conseil le maintenant formellement à la tête de Renault.

A Paris, le constructeur français et l’Etat actionnaire ne disposent d’aucun élément sur l’enquête elle-même et les faits reprochés à M. Ghosn. « J’appuie la demande du conseil de Renault d’obtenir toutes les informations de la part du board de Nissan au sujet de M. Ghosn », a déclaré mercredi M. Le Maire. « Nos seules informations proviennent des déclarations publiques de Nissan », glisse-t-on à Bercy.

Le fossé entre Boulogne et Yokohama, les sièges respectifs de Renault et Nissan, semble en train de se creuser. Si personne officiellement ne parle de complot, certains chez Renault insistent sur le fait que les dirigeants japonais sont peut-être allés vite en besogne en annonçant à l’avance la destitution de leur président. Cet empressement s’expliquerait, selon un article publié mardi 20 novembre par le Financial Times, par le souhait de Carlos Ghosn de proposer une fusion pure et simple de Renault et Nissan, idée à laquelle les dirigeants nippons seraient très hostiles. De quoi alimenter la thèse d’un coup de force japonais très en vogue dans les milieux d’affaires français.

Failles dans la gouvernance

Cette hypothèse a été confirmée au Monde par plusieurs sources. « Carlos Ghosn a été chargé à la dernière assemblée générale de proposer un plan de pérénisation de l’alliance. La fusion semble être l’une des options sur la table », indique un bon connaisseur de la gouvernance de Renault.

Les répliques du séisme qui secoue Renault-Nissan s’étendent au-delà de la personne de M. Ghosn. Le groupe Nissan, à l’origine de l’enquête visant Carlos Ghosn, pourrait lui aussi, en tant que personne morale, faire l’objet de poursuites liées à la remise aux autorités de documents financiers inexacts, rapportent mercredi le journal japonais Asahi et le quotidien français des affaires Les Echos. Des cadres de Nissan auraient révélé à la justice japonaise d’importantes failles dans la gouvernance et surtout une complicité de Nissan dans les malversations financières reprochées à M. Ghosn. Toshiyuki Shiga, ancien directeur opérationnel de Nissan, membre du conseil d’administration, proche de Carlos Ghosn et opposé à Saikawa, va être entendu par la police.

Quoiqu’il en soit, chez Renault comme chez ses actionnaires, on veut garder la tête froide et rester concentré sur l’essentiel. « L’Etat reste calme, afin de ne pas renforcer les forces centrifuges, assure-t-on à Bercy. La priorité, c’est l’Alliance. L’arrêter serait destructeur pour Renault et Nissan. » Même son de cloche du côté des cadres dirigeants de la firme au losange. « Je peux vous dire qu’à cette heure, malgré le fait que les équipes soient touchées, toutes les réunions opérationnelles de l’Alliance qui étaient programmées se sont tenues normalement et continuent à se tenir, précise un proche de la direction générale de Renault. Que l’Alliance Renault-Nissan fonctionne est un point de vigilance pour tout le monde ». M. Le Maire doit rencontrer à Paris son homologue, Hiroshige Seko, jeudi, date où le conseil d’administration de Nissan doit statuer sur le sort de Carlos Ghosn.