« Gilets jaunes » : l’appel au calme tardif de l’opposition
« Gilets jaunes » : l’appel au calme tardif de l’opposition
Par Alexandre Lemarié, Olivier Faye (spécial)
Face aux risques de violences lors de la quatrième manifestation samedi, les adversaires d’Emmanuel Macron ne veulent pas être accusés d’attiser les tensions.
Laurent Wauquiez, président du parti Les Républicains, participe à un meeting au théatre municipal de Saint-Quentin, le 6 décembre. / Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde
Un tract a été déposé sur les fauteuils en velours rouge du Théâtre Jean-Vilar de Saint-Quentin, dans l’Aisne : « Stop au racket des automobilistes ! » Le ton, jeudi 6 décembre, se veut pourtant à l’« apaisement » de la part de Laurent Wauquiez. Le président du parti Les Républicains (LR) a salué, dans la matinée, l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants décidée par Emmanuel Macron – celles-là mêmes qui ont contribué à lancer la mobilisation des « gilets jaunes ».
Devant 200 militants de son parti réunis pour un meeting, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes jure ne pas vouloir « pratiquer la politique du pire ». « Nous avons tous pour responsabilité d’enrayer l’engrenage de la violence », assure M. Wauquiez, échaudé par l’incendie de la préfecture de la Haute-Loire, le 1er décembre, dans « sa » ville du Puy-en-Velay, qu’il a dirigée pendant près de six ans.
Mieux, l’opposant farouche au président de la République assure que son parti est « prêt à contribuer à un travail de réflexion » avec l’exécutif sur le « gaspillage de l’argent public et des impôts » pour « renouer le fil du dialogue décousu par la violence des taxes ». A la veille de nouvelles manifestations qui pourraient voir défiler, samedi, selon l’Elysée, des personnes venues « pour casser et pour tuer », il est urgent de faire preuve de prudence. Il ne faudrait être accusé d’avoir jeté de l’huile sur le feu.
« Les pires dérives »
L’attitude du président de LR correspond à celle de toute une frange de l’opposition qui marche aujourd’hui sur une ligne de crête : d’un côté, maintenir la pression sur Emmanuel Macron, qui traverse la crise la plus profonde de son quinquennat ; de l’autre, ne pas apparaître comme les responsables d’un attisement de la colère.
Laurent Wauquiez, président de LR, lors d’un meeting au théatre municipal de Saint-Quentin, le 6 décembre 2018 / Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde
« J’appelle chacun à la mesure et au refus de toutes les formes de violence. Elles engendreraient les pires dérives dont la République serait la première victime », a ainsi écrit François Hollande, jeudi, dans un communiqué. L’ancien chef de l’Etat a été rejoint dans son appel par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Cela ne devrait pas empêcher les députés PS de joindre leurs voix, lundi 10 décembre, à une motion de censure commune contre le gouvernement, avec la France insoumise (LFI) et le Parti communiste. Il y a encore une semaine, M. Hollande encourageait pour sa part les « gilets jaunes » à « continuer » leur mobilisation. « Il faut continuer à prendre la parole pour que ça puisse déboucher », estimait-il, le 29 novembre, devant des manifestants réunis en Ardèche.
Car avant d’appeler au calme et au respect de l’ordre, LR et PS, comme la plupart des partis d’opposition, ont apporté un soutien franc et massif à l’expression des « gilets jaunes ». M. Wauquiez n’a pas hésité à enfiler lui-même une chasuble fluo lors d’un rassemblement au Puy-en-Velay, le 24 novembre – ce qu’il a d’abord nié, avant de devoir reconnaître l’évidence, photos à l’appui.
Une semaine plus tôt, le 17 novembre, la mairie du Puy-en-Velay, dirigée par un proche de M. Wauquiez, invitait quant à elle les « gilets jaunes » à venir partager une « boisson chaude » à proximité de la préfecture pour « échanger sur les hausses excessives des prix du carburant », comme elle l’avait écrit sur sa page Facebook. Le président de LR s’est rendu sur place à ce moment-là, sous l’œil des médias nationaux, et a vu s’agglomérer autour de lui certains élus locaux et militants de son camp affublés d’un gilet jaune.
« On s’en prend aux symboles de l’Etat »
« Il y a des responsables politiques et des irresponsables politiques, a dénoncé, jeudi, Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, qui a ciblé en particulier le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ce n’est pas tout à fait un hasard si la préfecture du Puy-en-Velay a été incendiée. Quand on passe son temps à attiser la détestation de l’Etat, alors à un moment donné on s’en prend aux symboles de l’Etat et ça, c’est de l’irresponsabilité politique. »
Aujourd’hui, certains élus LR, comme le député de l’Yonne Guillaume Larrivé, appellent les « gilets jaunes » à ne pas « monter » à Paris. « La rupture avec le macronisme ne doit pas se faire par le chaos, mais par le vote », estime M. Larrivé. « Emmanuel Macron, sa politique est injuste et inefficace. Nous lui demandons de retrouver l’ordre et la justice, on ne réclame pas sa tête », ajoute Jean Leonetti, vice-président de LR.
Les choses sont plus simples à gérer dans le cas de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon, qui condamnent certes les violences, mais se permettent de jouer plus librement de la radicalité. Mercredi, à l’Assemblée nationale, le chef de file de LFI, qui appelle à la « révolution citoyenne », s’est plutôt réjoui de la lame de fond « dégagiste ». « Heureux les jours que nous vivons puisque enfin la France est entrée en insoumission générale contre un ordre injuste, qui durait depuis trop longtemps », s’est félicité à la tribune le député des Bouches-du-Rhône. Et l’ancien sénateur socialiste de lancer au premier ministre : « Cédez ou partez. Et comme vous partez, cédez avant. »
La présidente du Rassemblement national, pour sa part, s’est permis un « petit rappel » sur Twitter, jeudi : « Samedi 8 décembre, il pourrait ne plus y avoir de manifestants dans les rues si le président daignait parler aux Français, leur concédait les moyens de vivre décemment de leur travail, et leur exprimait la considération qu’ils attendent et qu’ils méritent. » Alors que certains députés de la majorité ont lancé un mot d’ordre, « #stopviolences », sur les réseaux sociaux, un conseiller de Mme Le Pen, Jean Messiha, a rétorqué que le « pouvoir macroniste » sera « légitime à dire #stopviolences » quand il « stoppera les violences économiques, sociales et fiscales » et « cessera de haïr la France et son peuple ». L’apaisement, c’est bon pour les autres.
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