L’Indonésie frappée par un tsunami : « J’ai prié et couru aussi vite que je pouvais »
L’Indonésie frappée par un tsunami : « J’ai prié et couru aussi vite que je pouvais »
Par Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
48 heures après le déferlement de la vague sur les îles de Java et Sumatra, le bilan, provisoire, est de 281 morts et plus d’un millier de blessés.
Les ruines d’une maison après le passage du tsunami, à Pandeglang, dans le détroit de la Sonde (Indonésie), le 23 décembre 2018. / ANTARA FOTO / REUTERS
Une vidéo postée sur YouTube, effrayante et dramatique, montre les derniers moments d’un paisible événement soudainement endeuillé par un tsunami qui vient, samedi 22 décembre au soir, de frapper l’Indonésie : sur une scène improvisée, le chanteur du groupe de rock Seventeen s’égosille devant un public assez calme, aux applaudissements mesurés. Le concert est organisé pour les familles de la compagnie d’électricité Perusahaan Listrik Negara, réunies sous une tente installée sur une plage de l’Ouest javanais. Soudain, la mer fait irruption : la vague emporte la scène et les musiciens ; un hurlement de terreur monte de l’assistance. Puis, plus rien : la vidéo s’interrompt.
Indonesia tsunami: Wave crashes into concert by local pop band Seventeen
Durée : 00:51
Lundi 24 décembre, le bilan de ce tsunami qui a frappé les municipalités situées de part et d’autre du détroit de la Sonde, dans le sud de Sumatra et l’ouest de Java, s’élevait à 281 morts, un millier de blessés et une cinquantaine de disparus. Il devrait sans doute continuer à s’alourdir dans les jours qui viennent, au fur et à mesure de la progression des secours.
Des centaines de bâtiments ont été détruits par les deux vagues qui ont déferlé sur les rivages de plusieurs pages très touristiques. Notamment celle de Tanjung Lesung, là où se produisait le concert du groupe Seventeen. Elle attire entre autres, le week-end venu, de nombreux habitants de la capitale Djakarta, située à moins de deux cents kilomètres à vol d’oiseau, plus à l’est.
Eruption de l’Anak Krakatoa
Aucune alerte au tsunami n’avait été déclenchée samedi car rien n’indiquait qu’une vague mortelle allait ravager les rivages à 21 h 30 (15 h 30 heure française). La catastrophe a cependant été causée par l’éruption, quelques heures plus tôt, du volcan Anak Krakatoa, qui dresse son cône dans le détroit de la Sonde. Les effets d’un séisme sous-marin provoqué par l’éruption se seraient ajoutés à ceux d’une marée particulièrement forte en ces jours de pleine lune. La combinaison de ces facteurs « a déclenché le tsunami qui a frappé la côte », a affirmé le porte-parole de l’Agence nationale de gestion des catastrophes, Sutopo Purwo Nugroho.
Interrogé samedi sur la BBC, la volcanologue Jess Phoenix a confirmé que « l’Anak Krakatoa étant situé partiellement sous l’eau, l’éruption a provoqué un déplacement de terrain en profondeur qui a poussé l’eau devant lui, causant le tsunami ». Comment, dès lors, expliquer l’absence d’alerte et de la moindre anticipation de la catastrophe ? Selon M. Sutopo, la réponse est simple : l’Indonésie ne dispose pas encore de système d’alerte au tsunami qui « ne sont pas causés par des tremblements de terre », mais par des éruptions volcaniques, a-t-il expliqué, cité dimanche par le site du quotidien The Jakarta Post.
L’Agence géophysique, climatique et météorologique indonésienne avait d’ailleurs annoncé par erreur, samedi soir, qu’il ne s’agissait pas d’un tsunami mais d’une vague causée par une forte marée en période de pleine lune, avant de corriger le tir.
M. Sutopo Purwo Nugroho a cependant soutenu dimanche que les activités du volcan étaient « relativement basses », samedi, avec seulement des « débordements de magma et de projections de rochers incandescents ». Selon lui, cette éruption a été beaucoup moins forte que celles du volcan en octobre et novembre, ce qui expliquerait que le degré d’anticipation de la catastrophe a été faible. Certains spécialistes mettent désormais en garde contre une reproduction du phénomène, le volcan étant désormais déstabilisé. « Le risque de tsunami dans le détroit de la Sonde restera élevé tant que le volcan sera dans sa phase d’activité actuelle parce qu’il est susceptible de déclencher d’autres glissements de terrain sous-marins », prévient ainsi Richard Teeuw, de l’université de Portsmouth, interrogé par l’Agence France-Presse.
Archipel très instable
L’Anak Krakatoa, dans la détroit de la Sonde. / Stéphane Godin / Biosphoto
Près de trois mois après le tsunami qui a ravagé la ville de Palu, dans l’île de Sulawesi (nom indonésien de l’île des Célèbes), faisant plus de 2 000 morts et environ 5 000 disparus, la nouvelle tragédie qui frappe le très instable archipel indonésien aux 17 000 îles s’est produite dans un lieu emblématique des activités volcaniques et sismiques du pays.
En 1883, le volcan Krakatoa était entré en éruption au même endroit, provoquant l’une des plus grandes catastrophes des temps modernes : 30 000 personnes furent noyées dans le tsunami provoqué par l’éruption, des milliers d’autres moururent étouffées par les cendres du volcan dont la force éruptive correspondit à treize mille fois la puissance de la bombe atomique larguée sur Hiroshima. L’éruption avait été entendue à des milliers de kilomètres de là, provoquant une baisse de la température mondiale d’un degré.
En 1927, un autre volcan était venu remplacer celui que l’éruption avait fait disparaître : il se nomme l’Anak Krakatoa, ce qui signifie le « fils du Krakatoa ». C’est lui qui est entré en éruption vendredi après avoir donné des signes d’activité renouvelée depuis des mois.
Le témoignage d’Oystein Lund Andersen, un photographe norvégien spécialiste des volcans, donne une idée de la situation, vendredi soir, sur la plage d’Anyer, située non loin de la partie la plus étroite du détroit :
« J’étais en train de photographier le volcan en éruption. Cette dernière avait été assez forte toute la soirée mais rien d’alarmant ne s’était produit sur la plage. Tout était sombre. Soudain, j’ai vu une vague arriver. J’ai couru. Elle n’était pas si forte. Mais quand je suis arrivé à mon hôtel pour évacuer ma femme et mon fils qui dormaient, une deuxième vague a frappé, beaucoup plus grande celle-là. On a fui dans la forêt, sur les hauteurs. »
Aucune victime étrangère recensée
A Carita Beach, un lieu de villégiature très populaire sur la côte ouest de l’île de Java, Muhammad Bintang, 15 ans, a vu surgir la vague. « Nous sommes arrivés à 21 heures pour les vacances et soudain l’eau est arrivée. Tout est devenu noir. Il n’y avait plus d’électricité », a témoigné l’adolescent. Dans la province de Lampung (sur l’île de Sumatra), de l’autre côté du détroit, Lutfi Al Rasyid, 23 ans, raconte qu’il a fui la plage de Kalianda pour sauver sa vie. « Je ne pouvais pas faire démarrer ma moto, alors je suis parti et j’ai couru… J’ai prié et couru aussi vite que je pouvais. »
Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent des habitants paniqués tenant des lampes de poche et cherchant refuge sur les hauteurs.
Le responsable local de la gestion des catastrophes naturelles dans la municipalité de Pandeglang, Endan Permana, a rapporté samedi que la police s’efforçait de secourir les victimes de la catastrophe dans l’ensemble de la province de Banten, la plus touchée du côté javanais. Il a précisé qu’il y avait « pas mal de disparus ». Selon les autorités de la province, aucune victime étrangère ne figurerait dans la liste des victimes et des disparus.
En images : scènes de désolation à Java et Sumatra