Un fonds d’investissement éthique pour booster l’école en Afrique
Un fonds d’investissement éthique pour booster l’école en Afrique
Par Maryline Baumard
Pour le groupe I&P et le gouvernement de Monaco, qui lancent un « fonds d’impact » dévolu à l’éducation, le secteur privé peut contribuer à la scolarisation des jeunes Africains.
Des élèves d’une école élémentaire construite par le groupe suisse Nestlé à Goboue, en Côte d’Ivoire, le 7 mars 2016. / ISSOUF SANOGO / AFP
Tous à l’école ! Si l’idée de donner à chaque jeune Africain un bureau, des livres et un professeur fait consensus, la voie pour y parvenir, elle, est moins consensuelle. En dépit du Partenariat mondial pour l’éducation, qui tente de faire avancer la planète dans cette direction, 34 millions de jeunes Subsahariens, soit un sur cinq, n’ont toujours pas accès à cet Objectif de développement durable. Ce qui laisse ce dossier sur le sommet de la pile avec de multiples questions non tranchées, comme le choix d’un modèle capable de permettre à l’Afrique de rattraper ce retard.
A l’heure où le débat renvoie dos à dos public et privé – le premier lorsqu’il a du mal à se réinventer et se limite à replâtrer des systèmes nationaux défaillants, le second quand il fait passer la rentabilité avant le développement –, des initiatives disruptives de start-up un peu audacieuses s’invitent dans le débat, offrant un nouveau chemin vers une Afrique 100 % scolarisée. A condition toutefois que ces PME trouvent un financement durable…
Les PME, une clé majeure du développement
Ce mardi 15 janvier, une piste s’est esquissée. Le groupe d’investissement d’impact Investisseurs & Partenaires (I&P) et le gouvernement de la principauté de Monaco lancent le tout premier fonds d’impact consacré à l’éducation en Afrique, avec pour objectif de financer le secteur éducatif grâce à un modèle déjà en place dans la santé ou l’agriculture : un schéma aussi loin du don gratuit que de l’investissement purement spéculatif, puisqu’un « fonds d’impact » impose le développement comme objectif premier, la rentabilité des placements venant en second lieu.
I&P a fait de ce mode de financement de l’Afrique son cœur de métier. Pionnière dans ce financement éthique du continent, cette maison prend des parts dans des PME ou des start-up locales capables de faire avancer les défis de l’Afrique du XXIe siècle. Après la mise de départ (une entrée au capital), I&P ne lâche pas les jeunes entreprises qu’il juge prometteuses mais leur offre un soutien fait de conseil et de guidance. Jean-Michel Severino, qui préside I&P, pense en effet qu’on doit étoffer le tissu africain de PME, dans lequel il voit une clé de développement bien plus efficace que l’aide. Son entreprise accompagne déjà 90 entreprises dans une quinzaine de pays africains.
Pour ce fonds d’impact en éducation, il a confié au Monde Afrique espérer lever « entre 30 et 50 millions d’euros ». Le gouvernement monégasque, qui attribue chaque année 1 % de son budget à des actions de développement, est de l’aventure. « Nous avons signé pour quatre ans avec I&P afin de leur fournir le support nécessaire à la construction du fonds d’impact. Nous connaissons leur éthique et leur créativité et souhaitons participer à cette innovation », explique Bénédicte Schutz, directrice de la coopération internationale de la principauté. Monaco sera bailleur de fonds, mais pas investisseur. Il consacrera 1 million d’euros au projet. La recherche des investisseurs revient à I&P, une fois qu’il aura identifié les PME continentales à soutenir pour avancer vers cette Afrique scolaire.
Inventer de nouveaux modèles
L’augmentation démographique à venir (+ 11 millions de jeunes à scolariser chaque année dans la décennie à venir en Afrique subsaharienne) et le faible attrait de ce secteur auprès des financeurs classiques internationaux rendent nécessaire l’invention de nouveaux modèles pour financer l’école africaine. Aujourd’hui, elle ne reçoit que 7 % du total de l’aide publique au développement, soit à peine plus que ce qui est octroyé au transport et deux fois moins que ce dont bénéficie la santé.
Une frilosité qui laisse le continent un peu seul face à ce défi majeur. Les Etats y consacrent une part plus importante de leur richesse que les pays du Nord (17 % du PIB en moyenne, contre 11,8 % en Europe ou aux Etats-Unis), mais cela ne suffit pas toujours à construire une école de qualité. Ainsi en Côte d’Ivoire, plus de 60 % des élèves ne maîtrisent pas les notions de base en mathématiques et en lecture en début de scolarité primaire, selon l’évaluation internationale Pasec 2014. A l’objectif qualitatif qu’il faudra atteindre dans les années à venir s’ajoute le besoin croissant de travailler la qualité et l’orientation. Car pour contrer le chômage de masse, les jeunes vont devoir être formés à des métiers pointus pour répondre aux besoins des entreprises dans des sociétés de plus en plus urbaines.
Tout cela, Jean-Michel Severino, qui a dirigé l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique), le sait et le pointe depuis quelques années déjà. « Les gouvernements africains disposent de moyens limités pour résoudre ces problèmes et le secteur privé est de plus en plus perçu comme un acteur complémentaire qui pourrait améliorer l’accès, la qualité et la pertinence de l’éducation », estime le financier. « La création de 450 millions d’emplois sera nécessaire pour employer la main-d’œuvre disponible d’ici à 2050. L’impérative adéquation entre les formations dispensées et les besoins des entreprises sera un enjeu majeur », affirme-t-il à propos des métiers d’aujourd’hui, pour lesquels les formations manquent, comme de ceux de demain.
L’Afrique de l’Ouest, une zone prioritaire
En attendant que l’argent de ce nouveau fonds arrive sur le terrain, en 2020 ou 2021, I&P va repérer les initiatives continentales à appuyer, notamment celles qui peuvent améliorer la formation dans des secteurs tendus. Et si son fonds a une vocation panafricaine, M. Severino rappelle que « les investissements se font déjà majoritairement en Afrique anglophone, notamment en Afrique du Sud et au Kenya », et beaucoup moins en Afrique de l’Ouest, zone à ses yeux prioritaire. Son approche et celle de la principauté de Monaco ne peuvent manquer d’interpeller à l’heure où est de plus en plus récurrente l’interrogation sur l’efficacité des quelque 1 000 milliards de dollars d’aide publique au développement versés à l’Afrique au cours des cinquante dernières années.
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