Sans masters en France, les étudiants en psychologie se ruent dans les universités belges
Sans masters en France, les étudiants en psychologie se ruent dans les universités belges
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant)
A l’Université libre de Bruxelles, le nombre de dossiers d’inscription déposés par des Français a été multiplié par six en l’espace de deux ans.
L’Université libre de Bruxelles. / Université libre de Bruxelles
Test rapide et non scientifique : qui sont les étudiants présents, ce matin-là, dans ce cours de première année de master en psychologie, à l’Université libre de Bruxelles (ULB) ? Un coup d’œil suffit pour remarquer que les filles sont majoritaires. Une invitation à lever le bras va, elle, confirmer ces récits de la presse belge : les Français et Françaises sont très nombreux dans l’amphi, souhaitant décrocher ici, ou à Liège, Mons ou Louvain, ce master qui leur offrira l’accès à un diplôme et à une carrière.
Léa, Emma, Alban et les autres viennent de Lille, Reims ou Paris. Ils ont décroché en France une licence, mais n’ont pu accéder au master, faute de places pour tout le monde : « En France, depuis 2017, la procédure de sélection intervient désormais entre la troisième année de licence et la première année de master », rappelle la Fédération des étudiants francophones, qui s’inquiète des conséquences d’un afflux de candidats français vers les facs belges.
Dans les auditoires, les récits de jeunes qui dénoncent cette injustice sont nombreux. Alban Davoust, un ancien étudiant de l’université Paris-Descartes, a réalisé quinze demandes en France et n’a reçu une réponse positive qu’après s’être déjà inscrit à Bruxelles. La Fédération des étudiants en psychologie (Fenepsy), dont il est membre, estime que, pour 3 000 demandes d’accès à un master en France, 400 environ auraient reçu une réponse positive.
« Je suis en colère contre un système français qui, à la base, ouvre les portes et les referme brutalement ensuite. Beaucoup de jeunes ont le sentiment d’être trahis par leur université et, parfois, abandonnent tout », témoigne Alban Davoust, aujourd’hui inscrit en psychopathologie clinique à Bruxelles.
Sonnette d’alarme
En Belgique, pas de mode de sélection autre que la réussite aux examens, pas de discrimination en fonction de la nationalité. Pas encore, du moins, car professeurs, recteurs et étudiants tirent la sonnette d’alarme : si ce phénomène d’afflux de Français perdure, la situation deviendra intenable. L’arrivée de ces jeunes, couplée à l’intérêt de plus en plus marqué des jeunes Belges pour les études de psychologie, complique la vie des responsables. « Le bouche-à-oreille continue de fonctionner en France, il est possible qu’un nouvel afflux se manifeste lors de la prochaine rentrée universitaire », prédit Alban Davoust.
« Le nombre de dossiers d’inscription déposés par des Français a été multiplié par six en l’espace de deux ans », indique Arnaud Destrebecqz, doyen de la faculté de psychologie à l’ULB. A l’université de Mons, plus de deux cents demandes – pas toutes suivies d’une inscription – ont été reçues en 2018, pour 27 en 2016. A Liège, 22 % des étudiants en master sont français, une proportion qui a doublé en deux ans et engendre « une vraie crainte », explique Etienne Quertemont, doyen de la faculté de psychologie, logopédie et sciences de l’éducation de l’université.
Nini la caille
Comme ses collègues, il évoque des problèmes de locaux, de supervision des travaux pratiques et, plus généralement, d’encadrement pédagogique. L’organisation des stages est un autre casse-tête : leur nombre est limité en Belgique et ils doivent être régulièrement supervisés. S’ils sont effectués en France, cela entraîne des contraintes pratiques et organisationnelles pour l’étudiant et son maître de stage. L’ULB a donc dû décider qu’un étudiant en master pourrait exceptionnellement reporter son stage de première année sur la deuxième.
Hétérogénéité des auditoires
Parant au plus pressé, les facultés ont improvisé d’autres mesures : embauches, adaptation des horaires, changements de locaux, dédoublement des travaux pratiques, cours en podcast consultables à distance. « La situation a été difficile, mais il faut féliciter ceux qui sont parvenus à la maîtriser », souligne Alban Davoust.
M. Quertemont ajoute au tableau la nécessaire prise en compte, sur le plan pédagogique, de l’hétérogénéité des auditoires. En effet, les étudiants français qui intègrent, en première année de master, un système étranger arrivent, souligne-t-il, avec un niveau de formation et de préparation parfois très variable en fonction de leur université d’origine. Ce qui nécessite une attention particulière des enseignants.
Sous le couvert de l’anonymat, un de ces enseignants évoque les différences d’approche entre les facultés belges et certaines de leurs homologues françaises, « encore très marquées, voire beaucoup trop, par l’influence persistante du courant psychanalytique, bien moins présent ici, et où se développent davantage les aspects scientifiques de la psychologie ».
Mesures de contingentement
Soumises, en outre, à des mesures de rigueur budgétaire, avec l’instauration d’un système dit d’« enveloppes fermées » depuis 1998, les universités francophones belges redoutent toutefois de devoir affronter des difficultés financières. Les droits d’inscription (le « minerval »), qui dépassent à peine 800 euros, sont loin de couvrir le coût réel d’un étudiant, chiffré, en moyenne, à quelque 9 000 euros. Et le mode de financement ne tient pas assez compte de l’explosion du nombre d’inscrits dans ces établissements, passé de 136 000 à 210 000 (dont 21 000 Français au total), dénonce la Fédération des étudiants francophones.
Si cette fédération réclame au ministre francophone de l’enseignement supérieur une enveloppe financière exceptionnelle, les responsables politiques et les recteurs songent, quant à eux, à des mesures de contingentement. Confrontés, dans le passé, à un afflux de Français en médecine, en orthophonie, en kiné ou en sciences vétérinaires, les pouvoirs publics ont, selon les disciplines, instauré en 2006 des quotas de 20 % ou 30 % de non-résidents, les inscriptions se faisant après tirage au sort.
Des recours ont été introduits auprès de la justice européenne et pourraient entraîner l’annulation de ces mesures. Invitée à intervenir, la Commission européenne n’a pas trouvé de solution. Certains, à Bruxelles et en Wallonie, envisagent dès lors une autre option : une forte augmentation des droits d’inscription, qui serait compensée par une aide versée aux seuls étudiants belges. « Ce serait boiteux, mais il faudra bien trouver quelque chose », soupire un recteur.