Après le refus de leur fusion par Bruxelles, Alstom et Siemens temporisent
Après le refus de leur fusion par Bruxelles, Alstom et Siemens temporisent
LE MONDE ECONOMIE
Les réactions ont été virulentes contre la Commission européenne. Pourtant, avec des carnets de commandes étoffés, les deux groupes ne sont pas en mauvaise posture.
Alstom et Siemens ne fusionneront pas. Si le veto de la Commission européenne, annoncé mercredi 6 février, a ravi les syndicats du groupe français, les réactions ont été d’une rare virulence en France contre l’institution européenne. Alors que le premier ministre, Edouard Philippe, a fustigé une « mauvaise décision » et « un mauvais coup à l’industrie européenne », Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, a tancé « une faute économique et politique ».
A droite comme à gauche, l’heure est à l’indignation. « La France et l’Allemagne ne parviennent pas à remettre l’Europe sur les rails. La Commission vient de bloquer l’émergence d’un potentiel Airbus du rail européen. C’est une honte que la Commission européenne fasse le jeu de la Chine sur le dossier Alstom-Siemens », critique Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI.
« En empêchant la naissance d’un champion européen du ferroviaire, la Commission européenne montre un grave aveuglement historique dans la mondialisation », complète l’ancien premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve, alors que La France insoumise tweete : « Dans l’océan mondial, les poissons européens se feront dévorer par les mastodontes états-uniens, chinois, russes. »
Déferlement de critiques
Seule Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, a salué la décision de l’exécutif européen : « Je suis ravie que le mariage n’ait pas lieu. Ce n’était pas d’ailleurs un mariage, objectivement, c’était un don que nous faisions à Siemens d’Alstom, qui est une très grande industrie. C’était un véritable scandale. » L’allemand aurait détenu 50 % du nouvel ensemble, tandis que le reste du capital aurait été coté en Bourse.
Face à ce déferlement, Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence, s’est voulue pédagogue à Bruxelles. Elle a défendu avec conviction sa décision et les règles de l’Union en matière de concurrence. La Commission a interdit cette opération car « les parties n’étaient pas disposées à remédier aux importants problèmes de concurrence que nous avons relevés », a précisé d’emblée la commissaire à la concurrence.
Or, « en l’absence de mesures correctives suffisantes, cette concentration aurait entraîné une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse ».
Résultats financiers solides et des trésoreries fournies
Elle regrette « que plus d’efforts n’aient pas été faits pour résoudre ces problèmes », a-t-elle ajouté, car, « pour l’essentiel, la fusion ne nous posait pas de problèmes, c’est seulement sur 4 % des activités des entités fusionnées qu’il y avait des soucis », a précisé la commissaire. Et de donner l’exemple du rachat de Monsanto par Bayer : dans cette opération, c’est jusqu’à 12 % du périmètre des entités fusionnées qui posaient problème à Bruxelles.
Surtout, la femme politique danoise a nié l’idée d’un Airbus du rail. « Quand Airbus a été créé, la situation était opposée, il n’y avait que des Américains, Airbus a créé de la concurrence. Dans le cas d’Alstom et de Siemens, leur fusion aurait limité la concurrence. » Si ce n’est ni la lecture d’Henri Poupart-Lafarge, le PDG d’Alstom, ni de Joe Kaeser, celui de Siemens, les deux patrons sont bien obligés de se projeter dans l’après.
Avec des carnets de commandes garnis, des résultats financiers solides et des trésoreries fournies, les deux sociétés ne sont pas en mauvaise position. A Munich, Siemens a indiqué qu’il « prendra le temps d’évaluer toutes les options pour l’avenir de Siemens Mobility ».
Seul le canadien Bombardier s’est réjoui du veto
A Paris, M. Poupart-Lafarge a assuré qu’Alstom, soutenu par son principal actionnaire, Bouygues, allait « redéfinir avec les équipes, ensemble, dans le groupe, la meilleure façon de tirer parti du marché très positif que nous avons devant nous ». Pour le dirigeant, il est encore « beaucoup trop tôt » pour annoncer une nouvelle feuille de route.
L’alliance avec Siemens avait « deux buts », a-t-il rappelé mercredi, grossir face à la concurrence du chinois CRRC, qui réalise un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros, quand le nouvel ensemble Siemens-Alstom devait en atteindre la moitié. Surtout, ce regroupement devait permettre d’« accélérer le mouvement vers les technologies numériques ».
Après cet échec, quid de la consolidation du secteur ? Seul le canadien Bombardier, très présent en Europe, s’est réjoui du veto de la Commission au mariage franco-allemand, qui l’aurait marginalisé sur le Vieux Continent. A Bercy, on souhaite déjà préparer la prochaine étape. « Nous allons réfléchir aux possibilités de consolidation pour Alstom », a indiqué Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, mercredi au Sénat. Chez Alstom, M. Poupart-Lafarge temporise : « Nous ne sommes pas dans un cas où nous devons absolument bouger, où nous sommes dans un Monopoly d’acteurs. »