Toute l’histoire, vendredi 8 février à 20 h 45, documentaire

Comment une île de la Méditerranée, la Sicile, a-t-elle pu donner naissance à la plus redoutable des mafias de l’histoire contemporaine ? « Ce qui est sûr, c’est que rien n’aurait été possible sans le soutien des Etats-Unis », répond la réalisatrice Anne Véron. Une logique que cette spécialiste du sujet développe en deux documentaires diffusés, à la suite, vendredi 8 février sur la chaîne Toute l’Histoire.

Après Corleone : la guerre des parrains ou Des femmes dans la Mafia, également réalisés par Anne Véron, on aurait pu craindre un énième sujet sur la Pieuvre. « Une histoire en amène une autre », justifie-t-elle au contraire. C’est ainsi, en parlant avec des repentis new-yorkais, qu’elle a réalisé à quel point les relations entre les mafieux des deux côtés de l’Atlantique n’étaient « pas claires » : « Les Américains avaient du mépris pour les Siciliens. » Pour comprendre, elle a décidé de remonter aux origines de cette relation singulière.

Au début du XXe siècle, New York devient la plus grande ville « italienne » au monde. Parmi ces Italiens, 30 000 à 40 000 sont d’anciens criminels

Ces prémices font l’attrait de l’ensemble et surtout de la première partie, qui s’ouvre sur les images d’une Italie à peine unifiée (1871), et surtout très pauvre. Chassés par la misère, 4 millions d’Italiens, dont 80 % natifs du sud du pays, vont émigrer vers les Etats-Unis, en manque de main-d’œuvre. Au début du XXe siècle, New York devient ainsi la plus grande ville « italienne » au monde.

Parmi ces Italiens, 30 000 à 40 000 sont d’anciens criminels : sur ce terreau propice va se développer The Black Hand (« la main noire »), ancêtre de la Mafia italo-américaine. Remonter aux origines permet aussi d’expliquer l’arrivée de centaines de mafieux au début des années 1920, chassés de la Botte par le fascisme, alors que les Etats-Unis viennent d’instaurer la Prohibition (fin 1919) – une aubaine pour développer les trafics. Vingt ans plus tard, Lucky Luciano négociera la paix à l’issue de la guerre des gangs, pour faciliter le « business », actant de fait la naissance de la Mafia italo-américaine, la Cosa Nostra, « notre chose ».

Lire la critique : Et la Pieuvre bouge encore...

Historiens et journalistes, parmi lesquels Selwyn Raab, du New York Times, tentent de percer les mystères de cette « chose » qui obéit à la loi du silence, comme son implication dans le débarquement allié en Sicile ou les rapports entretenus avec le crooner américain Frank Sinatra.

Changement de décor pour la seconde partie. Dans un pays ravagé par la drogue, le président Richard Nixon cible la France, sa « French connection » et Marseille, par où transitent 80 % des stupéfiants consommés aux Etats-Unis. Aux commentaires, Joe Pistone, alias Donnie Brasco, le plus célèbre policier infiltré. Cet agent du FBI a travaillé sous couverture six ans (1976-1981) dans la Mafia de New York. « C’est un boulot, juste un boulot », affirme-t-il, lunettes noires sur le nez.

Toto Riina sert de fil rouge

L’ascension de Toto Riina, « bouseux » du clan Corleone devenu chef sanguinaire de la pègre, sert de fil rouge. Il sera condamné par contumace à l’issue du procès « historique » des 475 mafieux qui s’ouvre en février 1986 en Italie et aboutit, deux ans plus tard, à 2 650 ans de peines de prison cumulées. Il est en cavale lorsque le verdict est confirmé en cassation, en 1992. Se sentant en danger, il fait assassiner le 23 mai le juge Giovanni Falcone, puis le juge Paolo Borsellino, le 19 juillet. Cette incroyable violence révolte la population. « Tout est fini, commente le juge Antonino Caponnetto, la voix étranglée. Ne m’en faites pas dire plus. » Six mois plus tard, Toto Riina sera finalement arrêté, après vingt-six ans de cavale.

Cosa Nostra, de Palerme à New York, documentaire d’Anne Véron (Fr., 2018), 2 × 55 min. www.toutelhistoire.com