Vaccinations contre la rougeole au collège privé Notre-Dame de Diego-Suarez, dans le nord de Madagascar, le 23 février 2019. / Laure Verneau

Sur un lit du centre hospitalier Tanambao I à Diego-Suarez, dans le nord de Madagascar, Anastasia gît sur le ventre. A 4 ans, l’enfant, qui ne pèse que 4 kilos, est amorphe, peau bosselée, un maigre filet d’air entrant et sortant de sa bouche. « On ne meurt pas du virus de la rougeole, mais de ses complications respiratoires ou neurologiques », soupire Lalanirina Razafiarivelocheffe, du service pédiatrie du CHU.

Selon les dernières estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’épidémie de rougeole, qui sévit sur la Grande Ile depuis l’automne 2018, a tué 926 personnes. Le pays ne parvient pas à endiguer cette épidémie qui a touché 82 905 personnes entre septembre 2018 et février 2019. Pourtant, Madagasacar s’est vite mise en ordre de marche, cherchant les 11 millions de dollars (9,6 millions d’euros) nécessaires à sa campagne de vaccination et de soins depuis la déclaration officielle de l’épidémie le 4 octobre 2018. « Il manque encore 900 000 dollars. Mais nous sommes confiants », assure Marcellin Nimpa, chargé de la surveillance des maladies au bureau de l’OMS à Madagascar.

Des zones difficiles d’accès

Le vaccin, qui n’est pas obligatoire à Madagascar, reste le meilleur moyen préventif, mais la couverture vaccinale est très faible. « Seuls 58 % des enfants sont couverts, selon l’OMS et l’Unicef, alors qu’on devrait avoisiner les 90 %. C’est bien trop peu », regrette Marcellin Nimpa. Face à cette situation, des unités mobiles ont été envoyées dans les zones retirées du pays pour prodiguer des soins dans la brousse.

En dépit du financement non bouclé, la campagne de vaccination contre la rougeole a débuté en janvier dans 25 districts pour les enfants âgés de 9 mois à 9 ans. Une deuxième phase a même débuté en février dans 22 districts. La prochaine sera la plus importante : elle aura lieu fin mars début avril, et elle concernera 67 districts, sur les 114 de la Grande Ile. Il s’agit de vacciner entre 7 et 8 millions d’enfants. Dans un pays avoisinant les 600 000 km2 aux zones difficiles d’accès, qui plus est en pleine saison des pluies, le défi est de taille. Pourtant, dans les zones les plus retirées, les familles répondent à l’appel.

Ils sont une petite dizaine d’élèves à attendre en file indienne dans la cour du collège privé Notre-Dame de Diego-Suarez. Sous le manguier qui les abrite d’une chaleur de plomb, les écoliers piaillent et se chamaillent. Deux infirmières venues leur prodiguer leurs premiers vaccins contre la rougeole s’affairent. Le rituel est immuable : elles désinfectent, piquent, nettoient et essuient quelques pleurs. Un seul élève de cet établissement est en situation de quarantaine, déjà malade, sûrement. « En brousse, le premier obstacle à la riposte contre la maladie est le recours tardif aux soins, déplore le docteur du Centre de santé de base (CSB), Avotra Razafimandimby. Les gens vont voir le tradipraticien par habitude, mais aussi par praticité : la consultation ne coûte rien et c’est plus proche de chez eux. »

Faible immunité de la population

Dans le CSB de Mahavanona, près de Diego-Suarez, Georges et sa femme veillent sur leur fils Fabrio, 2 ans. Le petit garçon dort, assommé par la chaleur moite de la pièce aux relents de javel où volettent quelques mouches. « Je suis allé deux fois chez le guérisseur, sans succès, avoue Georges, presque penaud. La première fois, il a réussi à faire baisser la fièvre grâce à une décoction d’écorce d’arbre et à des bains. La deuxième fois, quand la fièvre est revenue d’un coup, il lui a administré la même chose, sauf qu’il a toussé beaucoup plus fort. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. » Il aura fallu deux jours de marche aux parents pour arriver à l’établissement le plus proche : pas les moyens de se payer le taxi-brousse. Entre-temps, le virus est devenu plus virulent.

Difficultés d’acheminement des doses de vaccins dans les zones enclavées, formation du personnel de santé à pratiquer la piqûre… Autant d’obstacles structurels qui favorisent la propagation du virus. A la faible immunité de la population s’ajoutent en outre d’autres facteurs favorisant les complications létales de la rougeole, comme par exemple la malnutrition dont un enfant sur deux souffre sur la Grande Ile. Cette épidémie d’une ampleur exceptionnelle, selon les autorités et les professionnels de santé, s’inscrit dans une hausse généralisée des cas de rougeole dans le monde.