« A Thousand Girls Like Me » : en Afghanistan, dans l’enfer de l’inceste
« A Thousand Girls Like Me » : en Afghanistan, dans l’enfer de l’inceste
Par Murielle Joudet
Le documentaire de Sahra Mani relate le combat judiciaire d’une jeune femme violée par son père.
Même la plus brutale des fictions n’aurait pas su rendre crédible ou rendre compte de ce que nous raconte A Thousand Girls Like Me. Dans une banlieue pauvre d’Afghanistan, sur les montagnes de Kaboul, vivent Khatera et sa mère. Isolées, les deux femmes habitent un appartement avec le strict nécessaire, dans un climat d’attente et de terreur. Un enfant est là : c’est la fille de Khatera, mais celle-ci l’appelle « ma sœur » car elle est née du viol de Khatera par son propre père détenu en prison.
Depuis sa plus tendre enfance, la jeune Afghane endure les viols à répétition de son géniteur, devant une mère impuissante. Elle tombe plusieurs fois enceinte et l’un des enfants, dit-elle, est même abandonné dans le désert par le père. Pauvre, souvent prise pour une menteuse dès lors qu’elle tente de raconter son histoire, menacée par la famille de son père, la jeune Afghane a pourtant décidé de réclamer justice, dans une société patriarcale où beaucoup de femmes dans son cas sont contraintes de garder le silence.
Le choix de la médiatisation
Comme preuves (qui aux yeux de certains se révèlent parfois insuffisantes), la jeune femme détient les témoignages de certains voisins, mais surtout l’existence de sa fille et son ventre encore arrondi : car, de nouveau, Khatera est enceinte de son père. Après s’être plusieurs fois confiée à des mollahs qui lui ont conseillé de se taire et de prier, elle n’a pas eu d’autre choix que de médiatiser son cas. C’est grâce à son apparition télévisuelle que la documentariste Sahra Mani a pu la rencontrer en 2014 et la suivre dans son combat lourd de périls et d’épuisement. Ce qu’on apprend, on l’apprend toujours de Khatera ou de sa mère, qui, au détour d’une phrase, lèvent peu à peu le voile sur une vie qui n’est autre qu’un calvaire.
Un calvaire qui empire, semble irrésistiblement attirer d’autres malheurs (les déménagements forcés, les commérages, les menaces) : en Afghanistan, être femme et demander justice pour ce genre de crimes se fait au péril de sa propre vie. Khatera oscille entre la résilience et l’envie d’en finir lorsqu’elle s’exclame : « J’aimerais qu’une bombe tombe sur notre maison et nous tue tous. »
Devant un tel destin, toute considération d’ordre esthétique serait malvenue : Sahra Mani refuse d’enjoliver ce qui doit être décrit frontalement, avec la concision et la froideur du procès-verbal. Dans le dossier de presse, elle confie qu’un tel tournage s’est fait sous la menace permanente d’un attentat ou d’un bombardement : « Dans ces conditions, il était peu aisé de créer un objet artistique. » Pas un objet artistique, mais un film attentif mu par l’urgence et qui constitue peut-être pour Kathera un premier refuge symbolique avant son départ pour la France. Issue que vient pourtant assombrir le titre du film : la jeune femme de 23 ans est l’arbre qui dévoile la forêt d’autres destinées meurtries.
A Thousand Girls Like Me (2019) - Trailer (French Subs)
Durée : 02:08
Documentaire afghan et français de Sahra Mani (1 h 20). Sur le Web : bluebird-films.com/a-thousand-girls-like-me-2