« Wall » : à l’ombre du mur des Lamentations
« Wall » : à l’ombre du mur des Lamentations
Par Jacques Mandelbaum
Le film de l’Israélienne Moran Ifergan navigue entre essai documentaire et journal intime.
Dans un contexte politique de plus en plus ouvertement hostile à la création et à l’esprit critique, le cinéma israélien, l’un des derniers bastions progressistes et pacifiques du pays, tente de survivre par tous les moyens. On en aura très bientôt une preuve éclatante avec la distribution française de l’Ours d’or berlinois (le 16 février), Synonymes, de Nadav Lapid.
En attendant, il n’est pas inutile de rappeler que les réalisatrices tiennent une belle part dans cette création cinématographique, comme le rappelait opportunément, en juin 2018 à Paris, une soirée spéciale « cinéastes israéliennes » organisée au cinéma le Louxor. People That Are not Me, d’Hadas Ben Aroya, et Wall, de Moran Ifergan, y parurent les titres les plus originaux de la programmation. Le premier est sorti en octobre 2018, le second sera en salle dès mercredi.
Loin des sentiers plus ou moins battus de la fiction, Ifergan s’illustre avec ce film à la croisée de l’essai documentaire et du journal intime, dans la droite ligne de son compatriote David Perlov, magistral pionnier du genre en Israël. Intégralement tourné en caméra subjective à l’ombre du mur des Lamentations, Wall est la chronique d’une vie personnelle disloquée, dont le sel réside dans le violent contraste entre son et image, aussi séparés que peuvent l’être dans la religion juive le carné et le lacté. Côté image, donc, l’apparat collectif du mur des Lamentations, vestige saint du Temple détruit de Jérusalem, preuve historique de la légitimité de la présence juive en ces lieux, symbole politique de la pérennité et de l’union du peuple juif manifesté dans son martyre et dans sa rédemption.
Hantise de l’intrusion
Côté son, des extraits de dialogues téléphoniques entre la réalisatrice, dont le visage nous restera caché, et une poignée d’interlocuteurs qui tendent à prouver que l’existence de cette citoyenne israélienne en particulier est à peu près aussi écroulée que le Temple en question, et qu’il lui faut bien un mur pour tenter de se soutenir un tant soit peu. Sa mère (hystérique), son mari (désespéré), son ex-amant arabe (vitupérateur), sa meilleure amie (perchée), sa sœur (moralisatrice), sa grand-mère (à l’agonie) participent ainsi d’une litanie dévoratrice et anxiogène qui, sous couvert d’amour, l’accable, alors même que son mariage tombe à l’eau et que sa vie familiale lui échappe.
Du mur incessamment surveillé par la police à la ligne incessamment occupée de la réalisatrice, court néanmoins, par-delà leur opposition, un motif qui les réunit plus essentiellement, celui de la hantise d’une intrusion qu’on sait pourtant inexorable. Bel éloge de l’impureté, que le ministère de la culture israélien – qui ne défend pas exactement cette ligne – a néanmoins soutenu, les voies de la Providence étant comme on le sait impénétrables.
הקיר - מורן איפרגן // Wall - Moran Ifergan
Durée : 01:34
Film israélien de Moran Ifergan (1 h 07). Sur le Web : www.sbs-distribution.fr/distribution-france-wall