Elections européennes : que veut exactement La France insoumise ?
Elections européennes : que veut exactement La France insoumise ?
Par Abel Mestre
Depuis plusieurs semaines, les « insoumis » multiplient les analyses contradictoires quant à leur stratégie européenne.
Manon Aubry, la tête de liste de La France insoumise pour les élections européennes du 26 mai. / ERIC GAILLARD / REUTERS
Jean-Luc Mélenchon a voulu marquer les esprits. Le leader de La France insoumise (LFI) a vertement répondu à la « Lettre aux Européens » d’Emmanuel Macron, par un texte publié dimanche 10 mars sur le site de Libération et publié le lendemain dans plusieurs titres du continent. Intitulé « Sortez des traités européens, stupides ! », M. Mélenchon tente d’y résumer le programme de son mouvement, qu’il va développer jeudi soir lors d’un meeting à Caen, en compagnie de Manon Aubry, la tête de liste LFI pour les élections européennes du 26 mai. Une occasion, également, de relancer une campagne qui peine à décoller.
La pensée « insoumise » au sujet de l’Union européenne (UE) est articulée autour d’une stratégie mise en avant lors de la campagne présidentielle de 2017 : celle du plan A − « sortie concertée des traités européens » et « négociation d’autres règles » − et d’un plan B − « sortie des traités européens unilatérale par la France » − en cas d’échec de la première méthode. Le premier comporte la fin de l’indépendance de la Banque centrale européenne, la mise en place d’un « protectionnisme solidaire » ou encore une harmonisation fiscale et sociale. A l’époque de la campagne présidentielle, M. Mélenchon résumait cela en une formule choc : « L’Union européenne, on la change ou on la quitte. »
Dans son texte, le député des Bouches-du-Rhône le rappelle : pour « commencer un nouvel âge de la civilisation humaine », en finir avec « la concurrence libre et non faussée », une seule solution : « Sortir des traités qui organisent l’Union européenne. » « Toutes nos misères écologiques et sociales ont leur origine dans le contenu de ces traités. Ils ont figé toutes les politiques économiques dans le dogme absurde de l’ordolibéralisme et de l’atlantisme », développe-t-il.
Mais que signifie exactement « sortir des traités européens » ? Selon Mme Aubry, ce serait une sorte de situation intermédiaire entre les « Européens béats » et les « frexiters [partisans d’une sortie de la France de l’UE] ». Elle l’assure : « Nous n’avons pas un problème avec l’Union européenne, mais avec les traités actuels. On ne veut pas sortir de l’UE, mais on ne veut pas de statu quo non plus. » Seulement voilà, et la juriste le sait : il est impossible de sortir des traités sans sortir de l’UE. « Sortir des traités européens, c’est le Frexit : la sortie de l’UE et de l’euro. Il n’y a pas d’autre alternative », confirme Dominique Berlin, professeur émérite de droit européen à l’université Panthéon-Assas. « Sortir des traités, c’est les dénoncer. Donc c’est sortir de l’UE », abonde Yves Bertoncini, président du Mouvement européen en France.
Loin du scénario défendu en 2017
Mme Aubry jure pourtant que ce n’est pas l’objectif des « insoumis ». Et apporte une nouvelle interprétation du « Plan A/Plan B ». « Le plan A, c’est renégocier tous ensemble pour tenir les promesses de l’Europe. Si ça ne marche pas, le plan B, c’est avancer à plusieurs avec les pays qui le souhaitent et désobéir aux dispositions qui posent problème, comme la règle des 3 % de déficit, le travail détaché, etc. » On est donc bien loin du scénario défendu en 2017 par le candidat Mélenchon mais plus proche d’une notion d’affranchissement de certaines règles des traités.
« Si un Etat veut sortir, c’est possible, c’est ce que fait le Royaume-Uni. C’est le seul moyen car il n’y a pas de clauses d’expulsion dans les traités, rappelle encore M. Bertoncini. Ne pas respecter les traités, c’est autre chose. Cela place le pays dans une situation de désobéissance. C’est un peu comme une assemblée de copropriétaires qui ne peut pas expulser un locataire refusant de payer son loyer. »
Cependant, complète M. Berlin, cela met le pays « en position de manquement » avec des conséquences importantes : « Il y aurait d’abord des recours devant la Cour de justice puis des sanctions sous forme d’amendes. » Un scénario prévu par les « insoumis » qui « refuseraient de payer » s’ils étaient confrontés à cette situation. Ce qui exposerait la France à d’autres sanctions, comme, par exemple, la privation du droit de vote au sein du Conseil européen.
En tout cas, en jouant sur les mots et les concepts, les « insoumis » entretiennent un flou qui les arrange. C’est, en effet, un sujet sensible avec ses partenaires européens (notamment les Espagnols de Podemos et les Portugais du Bloco) réunis dans le mouvement Maintenant le peuple ! Dans leur manifeste, aucune mention du « Plan B », ou de quitter l’Union européenne, mais simplement la volonté de « rompre avec les carcans des traités européens ».
Le mouvement de Jean-Luc Mélenchon est aussi tiraillé, en interne, entre une vision souverainiste et une autre, plus eurocompatible. Depuis plusieurs mois, de nombreux tenants de la ligne « souverainiste » ont claqué la porte, se sont éloignés ou ont été écartés. C’est le cas de l’économiste Liem Hoang Ngoc ; de l’ancien porte-parole Djordje Kuzmanovic ; de l’enseignant François Cocq ou encore de Charlotte Girard, coresponsable du programme, qui fut un temps pressentie comme tête de liste et qui a préféré prendre du champ. A sa place, Manon Aubry, elle, a toujours défendu une ligne plus pro-européenne. A tel point que les exégètes de LFI en perdent parfois leur latin quand il s’agit de l’Europe. Ce trouble pourrait être le même chez les électeurs.