Opération camembert à l’Assemblée nationale pour défendre le lait cru
Opération camembert à l’Assemblée nationale pour défendre le lait cru
Par Mathilde Gérard
Le député MoDem Richard Ramos organisait, mercredi, une distribution de fromage pour alerter sur l’extension de l’AOP camembert de Normandie à la pasteurisation.
Le député du Loiret Richard Ramos (MoDem) distribue des boîtes de camembert AOP au lait cru aux 577 députés de l’Assemblée nationale, mercredi 13 mars. / GONZALO FUENTES / REUTERS
Ne lui dites pas que ça sent fort. « Ça sent la France », s’enthousiasme le député Richard Ramos. L’élu MoDem du Loiret vient de distribuer 577 camemberts au lait cru de la fromagerie Gillot dans les casiers de ses confrères de l’Assemblée nationale, mercredi 13 mars. En ce jour de séance publique, représentants de la nation et collaborateurs parlementaires ont eu la surprise de découvrir de puissants effluves de fromage à leur arrivée dans les couloirs du Palais-Bourbon.
Par cette opération olfactive, le député veut alerter sur le futur cahier des charges de l’appellation d’origine protégée (AOP) camembert de Normandie. Selon un accord conclu en février 2018 entre l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et les acteurs de la filière, l’AOP, aujourd’hui réservée aux seuls camemberts au lait cru, se déclinera à partir de 2021 en deux variétés : un haut de gamme au lait cru, assorti d’une mention « véritable » ou « authentique », et un cœur de gamme, pour lequel sera autorisé le « traitement thermique », autrement dit la pasteurisation.
La plupart des camemberts industriels vendus sur le marché (60 000 tonnes par an, contre 5 600 tonnes pour les camemberts au lait cru) pourraient donc bénéficier du tampon AOP, à condition que leur production soit « normandisée ». Le nouveau cahier des charges prévoit en effet que les productions du cœur de gamme incluent 30 % de vaches normandes, pâturant au moins six mois de l’année, en extérieur, en Normandie. A l’heure actuelle, des camemberts sont vendus avec la mention « fabriqué en Normandie », alors que leur lait provient d’autres régions (seul l’assemblage est réalisé sur place).
Lactalis, majoritaire dans le camembert
« Il faut que les appellations aient du sens et apportent des garanties », s’emporte Richard Ramos, selon qui les consommateurs ne feront pas la différence entre l’AOP « véritable » et le cœur de gamme. Le député a utilisé son indemnité représentative de frais de mandat pour acheter et distribuer les quelque 600 fromages de la laiterie Gillot, premier site de production de camembert AOP avec 164 salariés. Dans le viseur de l’élu, l’entreprise Lactalis, ultra-majoritaire dans le camembert industriel (avec, notamment, la marque Président), mais également dans l’AOP, depuis le rachat en 2016 de la fromagerie Graindorge. « Je suis libéral et contre les monopoles », tonne M. Ramos.
Les industriels, de leur côté, font valoir la sécurité alimentaire en défense de la pasteurisation. Mardi, 5 600 lots de camemberts au lait cru de la marque Moulin de Carel (appartenant à Lactalis) ont été rappelés par crainte d’une contamination à l’Escherichia coli. « Nous mangeons des matières vivantes, répond le député. Il faut qu’il y ait de la sécurité alimentaire. Mais on ne va pas aller vers une hygiénisation. »
Pour Richard Ramos, la transmission du goût, d’un savoir-faire et des emplois est en jeu. Véronique Richez-Lerouge, présidente de l’association Fromages de terroirs, qui accompagne l’élu dans son opération, cite d’autres exemples d’appellations (saint-nectaire, cantal, ossau-iraty) qui ont vu le nombre de petits fermiers fondre après une ouverture au fromage pasteurisé. « Les camemberts industriels auraient très bien pu monter en gamme via une IGP [indication géographique protégée], sans chercher à s’attribuer une AOP, mais c’est une question politique : le syndicat qui gère l’AOP n’a pas voulu voir émerger un concurrent. »
Les boîtes de camembert Gillot, dans les casiers des députés de l’Assemblée nationale, le 13 mars. / GONZALO FUENTES / REUTERS
Si les députés n’ont pas le pouvoir de modifier le cahier des charges d’une AOP, M. Ramos espère alerter le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Didier Guillaume, qui a autorité sur l’INAO. Dans un communiqué publié mercredi 13 mars, Lactalis a, de son côté, vivement réagi à l’initiative de M. Ramos, dénonçant « des informations infondées, ne tenant absolument pas compte de la réalité des productions du groupe ». Selon le porte-parole de Lactalis, Michel Nalet, « toutes les accusations visant à créer du discrédit sont inutiles pour une filière laitière normande qui a besoin de créer de la valeur et non de la polémique ».
Alors que le député poursuit sa distribution de camemberts, le doyen de l’Assemblée, Bernard Brochand, élu Les Républicains des Alpes-Maritimes, semble peu convaincu et parle d’une « opération publicitaire ». D’autres passent remercier l’élu pour la missive fromagère, tout en ouvrant les fenêtres de leur bureau.
La défense des produits du terroir reste une valeur transpolitique et fédère au-delà du camembert. Emilie Chalas, députée LRM d’Isère, s’inquiète pour le fromage de sa circonscription, le saint-marcellin, dont la production est aujourd’hui majoritairement assurée par Lactalis. Jacques Savatier, élu LRM de la Vienne, aurait lui voulu voir distribuer des fromages de chèvre.