Plus de la moitié des pays africains ont besoin d’aide alimentaire
Plus de la moitié des pays africains ont besoin d’aide alimentaire
Par Laurence Caramel
Les conflits internes sont devenus la principale cause des crises alimentaires. La faim touche près d’un habitant sur quatre au sud du Sahara.
En Centrafrique, distribution d’aide humanitaire par le Programme alimentaire mondiale des Nations unies en 2017. / Baz Ratner / REUTERS
Sur les 41 pays ayant besoin d’aide alimentaire extérieure, trente et un sont africains. Ils n’étaient que vingt il y a dix ans alors qu’une flambée des prix avait entraîné ce qui avait alors été qualifié d’« émeutes de la faim » dans plusieurs villes du continent. Si les aléas climatiques prennent leur part dans cette évolution, la multiplication de conflits internes et de longue durée apparaît comme la cause première de la multiplication des crises alimentaires.
La carte des régions vulnérables établie par le Fonds des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) qui scrute, depuis les grandes sécheresses des années 1970, l’évolution de la production agricole et des ressources alimentaires disponibles sur les marchés mondiaux, délimitait en 2008 une zone concentrée sur la Corne de l’Afrique et l’Afrique centrale. Elle s’est depuis étendue sur tout le Sahel, la Libye et une partie de l’Afrique australe autour du Zimbabwe.
Dans le bilan sur les perspectives de récolte et la situation alimentaire publié le 12 mars par la FAO, seule l’Afrique australe et certaines régions agropastorales de la Corne de l’Afrique comme le sud-est de l’Ethiopie, le nord du Kenya et la Somalie, pâtissent de conditions météorologiques défavorables contribuant aux pénuries alimentaires actuelles. Le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe frappés par le cyclone Idai entre le 14 et le 19 mars et dont le bilan pourrait se compter en plusieurs centaines de morts et des millions de personnes touchées, figuraient sur la liste des pays victimes de la sécheresse depuis 2015. Au Malawi, en ce début 2019, 3,3 millions de personnes souffrent déjà de faim, deux fois plus que l’année précédente à la même période.
Effondrement
Ailleurs, soit pour plus de la moitié des pays répertoriés, les guerres civiles avec leurs victimes et leurs flux de déplacés qui débordent sur les pays voisins, comme en Ouganda ou au Cameroun, ont provoqué l’effondrement des systèmes de production et des circuits de distribution. « Les déplacements de population ont toujours des effets à long terme sur les populations déplacées elles-mêmes et sur les communautés d’accueil. Ils accroissent les pressions pour les ressources, l’accès à la terre et conduisent presque systématiquement à la détérioration des conditions de vie de l’ensemble des populations concernées », observe Isabelle Moussard Carlsen, directrice des opérations de l’ONG, Action contre la faim (ACF).
En République centrafricaine, un tiers de la population, soit près de 2 millions de personnes, attend une aide alimentaire. Au Soudan du Sud, elles sont plus de 6 millions, en République démocratique du Congo comme au Nigeria, 4, 5 millions. En Somalie, 1,5 million de personnes continuent d’être gravement affectées par les effets cumulés de l’insécurité et de la sécheresse qui sévit depuis 2016.
A la demande du Conseil de sécurité des Nations unies, la FAO et le Programme alimentaire mondial (PAM) établissent depuis 2016 un suivi spécifique de la situation alimentaire dans les zones de conflits. A côté des pays africains sont examinés les cas de la Syrie, de l’Afghanistan et du Yémen. En mai 2018, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2417 condamnant l’utilisation de la faim comme arme de guerre et renouvelé son appel au respect des règles du droit humanitaire afin que les ONG et les agences d’aide puissent accéder aux populations sans restriction. Ces zones concentrent 74 millions de personnes en insécurité alimentaire sévère, dont 40 % sont en Afrique.
La FAO, qui pilote le Système mondial d’information et d’alerte rapide (Smiar) pour anticiper les pénuries alimentaires, suit en particulier l’évolution du marché mondial des céréales. « Tous les pays dépendant de soutien extérieur sont, quelle qu’en soit l’origine, vulnérables aux chocs, car ils sont pauvres et leur production vivrière est insuffisante. Ils ne produisent pas assez pour nourrir leur population », explique Jonathan Pound, l’un des économistes de la FAO qui participent à la mise à jour trimestrielle des données sur la situation alimentaire et les prévisions de récolte. Au cours des dix dernières années, la production des pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV) que surveille l’organisation internationale, a peu ou pas augmenté alors que, dans le même temps, leur population continuait de croître rapidement.
Dans ces prévisions pour 2019, la FAO estime que 1 million de tonnes de céréales devrait être fourni à l’Afrique sous forme d’aide alimentaire pour combler l’écart entre la production et les capacités d’importation. « Cette quantité peut paraître insignifiante rapportée à la production totale [133 millions de tonnes pour les PFRDV en 2018 selon les prévisions], mais cette aide est destinée aux populations les plus pauvres qui ont parfois déjà tout perdu », précise M. Pound.
Engrenage
Ce chiffre qui sert d’indicateur ne reflète surtout que de façon très imparfaite les besoins. En Afrique centrale par exemple, les céréales ne font pas partie des aliments les plus consommés. Le Programme alimentaire mondial (PAM), premier acteur sur les crises humanitaires à prendre en charge les besoins alimentaires, a distribué en 2018, 2 millions de tonnes de nourriture et versé 553 millions de dollars (485,5 millions d’euros) sous forme d’aide financière directe. « Nous sommes loin de parvenir à couvrir les besoins », souligne Arif Husain, économiste en chef du PAM. Le taux de couverture atteint en moyenne 40 %. « Ce manque de ressources contraint à être sélectif dans l’octroi de l’aide, à ne venir au secours qu’aux personnes dans les situations les plus critiques au risque de ne pas traiter les causes profondes de l’insécurité alimentaire et de voir progresser la faim chronique. Nous savons que si nous n’intervenons pas avant que les agriculteurs aient consommé leurs dernières semences ou vendu leurs dernières têtes de bétail, il sera beaucoup plus difficile et plus long de revenir à la situation d’avant la crise », déplore-t-il en rappelant que, depuis trois ans, le nombre de personnes souffrant de faim dans le monde a recommencé à augmenter.
Organiser des opérations d’assistance en zone de conflit s’avère par ailleurs beaucoup plus coûteux. « Acheminer de la nourriture par avion coûte dix fois plus cher que par la route. Avec un dollar par jour, nous pouvons apporter une ration journalière à seulement deux personnes, contre trois en période de paix, détaille M. Hussain. Voilà pourquoi il est aussi indispensable que l’accès des convois humanitaires aux zones de conflits soit assuré. »
« La faim et les conflits se renforcent l’un l’autre. Les conflits comptent désormais parmi les principales causes de l’insécurité alimentaire et le manque d’investissements adéquats pour faire reculer la faim crée également les conditions favorables à l’éclatement ou à la généralisation d’un conflit », résume Isabelle Moussard Carlsen d’ACF pour exprimer un processus qui ne fait plus débat.
Comment sortir de cet engrenage ? La réponse n’est pas dans le camp des experts des Nations unies ou des ONG, mais dans celui de ceux qui ont plongé leur pays dans la guerre.