La France dans le viseur de la Ligue pour la protection des oiseaux
La France dans le viseur de la Ligue pour la protection des oiseaux
Par Pierre Le Hir
L’association accuse Paris de ne pas respecter la directive européenne sur la conservation de l’avifaune sauvage.
Un moratoire a été pris en France depuis trois ans sur la chasse de la barge à queue noire, qui fait partie des espèces menacées. / Emile BARBELETTE/LPO
Si l’approche des élections européennes du 26 mai nourrit, chez certains, un feu roulant de critiques contre les réglementations communautaires, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), elle, veut au contraire davantage d’Europe. Au point d’appeler Bruxelles à la rescousse. L’association, qui revendique plus de 50 000 adhérents, s’apprête, en effet, à déposer, auprès de la Commission, une plainte contre l’Etat français pour « des infractions relatives à la chasse ». Symboliquement, elle devait intenter cette action le 2 avril, date du quarantième anniversaire de la « directive oiseaux » de 1979, à laquelle a succédé en 2009 une nouvelle directive.
Ce texte a été « capital » pour la conservation des oiseaux sauvages, rappelle Yves Vérilhac, directeur général de la LPO. C’est lui qui a imposé aux Etats membres de l’Union européenne la création, pour les espèces les plus menacées, notamment migratrices, de « zones de protection spéciale ». Celles-ci, complétées par les « zones spéciales de conservation » instaurées par la directive habitat-faune-flore de 1992, constituent aujourd’hui les sites Natura 2000, soit le plus vaste réseau d’aires protégées au monde. Au niveau national, ce réseau, fort de 1 780 sites, couvre désormais 13 % de la surface métropolitaine et plus du tiers du territoire marin situé dans la zone économique exclusive de la France.
« Mépris de l’Etat pour les associations »
La directive oiseaux établit aussi la liste, parmi les 617 espèces recensées en Europe, dont 204 présentes en France, de celles qui peuvent être chassées – avec des possibilités de dérogations strictement encadrées –, pour autant que ces prélèvements soient « compatibles avec le maintien de la population de ces espèces à un niveau satisfaisant ». Et elle interdit, pour les espèces migratrices, de les « tirer » pendant leur période de reproduction et durant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification.
Or, la France, où les chasseurs ont toujours eu l’oreille des gouvernements de tout bord politique, s’affranchit du droit communautaire par « des manquements récurrents aux obligations de protection de l’avifaune », accuse la LPO. C’est ainsi que presque tous les ans, Paris autorise la chasse des oies sauvages au-delà de la période légale, qui s’arrête le 31 janvier. Presque chaque année aussi, l’association saisit le Conseil d’Etat et obtient gain de cause. En 2019 encore, le ministère de la transition écologique et solidaire a pris un arrêté permettant de chasser les oies cendrées tout le mois de févier (avec un plafond de 4 000 prélèvements), les oies rieuses ou des moissons pouvant l’être jusqu’au 10 février. Un arrêté suspendu le 6 février par le juge des référés.
« Cette situation témoigne du mépris de l’Etat pour les associations. Il est intolérable de devoir consacrer autant de temps et d’énergie à ces recours », proteste Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO. Celle-ci a donc décidé d’agir à l’échelon supérieur. Faute de pouvoir saisir elle-même la Cour de justice de l’Union européenne, elle se tourne vers la Commission, afin que cette dernière instruise une plainte auprès de cette juridiction.
La France est l’un des derniers pays européens à autoriser le piégeage des grives à la glu, considéré comme une « chasse traditionnelle ». / Cabs
Pour faire bonne mesure, elle y joint, dans un recours unique, une action contre les chasses dites « traditionnelles », comme le piégeage des grives à la glu, une pratique que la France est l’un des derniers pays européens à autoriser et dont les défenseurs de la faune dénoncent la « cruauté ».
L’association y ajoute un autre grief. « Pas moins de 66 espèces d’oiseaux sont chassables en France, contre une moyenne européenne de 39, déplore le président de la LPO. Cela, alors même que 18 d’entre elles sont en mauvais état de conservation, dont deux, la tourterelle des bois et le fuligule milouin, le sont au niveau mondial. »
La tourterelle des bois figure sur la liste rouge mondiale de l’Union internationale pour la conservation de la nature. / Aurélien AUDEVARD/LPO
Au cabinet d’Emmanuelle Wargon, secrétaire d’Etat chargée de ce dossier auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, on considère que les règles appliquées en France sont aujourd’hui conformes au droit européen et aux dérogations prévues par la directive oiseaux, mais qu’il est nécessaire d’aller plus loin pour la préservation de la biodiversité.
« C’est, ajoute-t-on, l’objectif de la gestion adaptative des espèces. » Celle-ci, mise en place dans le cadre de la réforme en cours de la chasse, permettra de définir le nombre de prélèvements autorisés en fonction de l’état de conservation de chaque espèce. Cela, sur la base d’un diagnostic scientifique établi par un comité d’experts, qui va travailler dans un premier temps sur la tourterelle des bois, le courlis cendré, la barge à queue noire, le fuligule milouin, le grand tétras et l’oie cendrée. Son premier avis est attendu en mai.
Nombre d’espèces chassables dans les différents pays de l’Union européenne. La France se classe largement en tête, avec un total de 66 contre une moyenne de 39. / LPO