En Algérie, Sonatrach s’est imposé comme le symbole d’un Etat exsangue
En Algérie, Sonatrach s’est imposé comme le symbole d’un Etat exsangue
Par Benjamin Augé (chroniqueur Le Monde Afrique)
La volonté d’hyper-contrôle du pouvoir politique a amoindri l’attractivité de la société nationale d’hydrocarbures pour les entreprises étrangères, analyse notre chroniqueur.
Raffinerie de Krechba, près de Ghardaia, dans le centre de l’Algérie / Zohra Bensemra/REUTERS
Chronique. PDG de Sonatrach depuis 2017, Abdelmoumen Ould Kaddour est l’une des cibles privilégiées des manifestants algériens et il ne pouvait pas en être autrement. Ould Kaddour, qui s’était prononcé pour un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, est un maillon central du régime. La société qu’il dirige permet en effet de perpétuer un système que dénonce la population.
Quelques jours après le début de la transition politique en Algérie qui devrait conduire le 4 juillet à la première élection présidentielle sans Abdelaziz Bouteflika depuis vingt ans, son institution fait l’objet de toutes les attentions. La Sonatrach, société pétrolière d’Etat créée au lendemain de l’indépendance en 1963, est devenue la caisse du régime permettant sa survie à coups de financement de programmes sociaux, de subventions de multiples produits et construction d’infrastructures. Cependant, depuis une dizaine d’années, la Sonatrach et le secteur pétrolier algérien vont eux aussi très mal, reflétant les maux qui minent l’économie du pays dans son ensemble.
Tous les maillons du pays
Sonatrach est en effet unique en Afrique, et même au sein des pays membres de l’Organisation des pays exportateurs pétroles (OPEP), dont l’Algérie est membre depuis 1969. Depuis la nationalisation de février 1971, Sonatrach explore, produit, raffine et transporte le pétrole et le gaz. Bref, elle intervient à tous les stades, comme « le système » lui aussi a longtemps tenté de le faire en contrôlant tous les maillons du pays.
Et si, au fil des ans, le secteur privé s’est fait une petite place dans nombre de secteurs, le Code des hydrocarbures de 2006, lui, a considérablement amoindri l’attractivité de l’Algérie pour les sociétés étrangères. Dans la logique d’hyper-contrôle, il fallait que ce joyau reste national… même si, aujourd’hui, deux conséquences majeures découlent de cette décennie de méfiance de la part du secteur privé.
Premièrement, l’exploration et une partie significative de la production sont désormais dans les seules mains de Sonatrach. De même sur les 101 forages d’exploration effectués en 2017, 100 ont été l’œuvre de Sonatrach et un seul a été réalisé en coopération avec le secteur privé. Deuxième conséquence, la production pétrolière a peu à peu fléchi, passant de près de 2 millions de barils à moins de 1,5 entre 2007 et 2017. La production gazière s’est par contre appréciée, mais l’accroissement massif de la consommation domestique a tout de même largement freiné les exportations. A l’instar de l’économie algérienne, la situation au sein de Sonatrach n’est pas bonne.
Plutôt inquiétant, ce tableau du secteur pétrolier algérien, est encore compliqué par la contribution très importante de Sonatrach au budget de l’Etat. En 2017, 19,4 milliards de dollars (17,2 milliards d’euros) ont été versés au trésor. Des transferts qui empêchent la compagnie de consacrer suffisamment au pétrole et aux gaz plus difficiles d’accès. Or pour assurer ses lendemains, il lui faudrait regarder du côté des gaz et pétrole de schiste dont l’Algérie détient des réserves parmi les plus importantes d’Afrique. Outre que les populations du sud s’opposent à un tel projet, Sonatrach n’a pas les moyens de ses ambitions. Elle s’épuise financièrement en gérant la quasi-totalité du secteur seule, et l’Etat lui retire une grande partie de ses moyens pour tenter de maintenir son niveau de production.
Réformer en profondeur
On est dans la quadrature du cercle puisque l’Etat algérien a besoin d’elle pour survivre, alors qu’elle aurait besoin que l’Etat l’oublie un peu pour qu’elle puisse se développer. Une équation impossible aujourd’hui car, durant les années Bouteflika, aucun autre secteur n’a permis de diversifier les contributions au budget. Au point que la vente du pétrole et du gaz représentent toujours presque l’intégralité des exportations et les premières contributions au budget de l’Etat.
L’actuel PDG de Sonatrach a réussi à aplanir des relations autrefois très difficiles avec les majors. Il est parvenu à éteindre tous les différends juridiques contre Sonatrach. Abdelmoumen Ould Kaddour a également veillé à ce que les majors encore actives dans le pays investissent davantage en octroyant de nouveaux contrats d’exploration ou de développement (Total) ou des extensions sur des gisements en production (ENI) ; il a œuvré à un nouveau Code des hydrocarbures – prêt depuis janvier – dont l’objectif est de récréer les conditions de la confiance avec le secteur privé et de proposer des fiscalités plus adaptées aux différents types d’exploration : onshore, offshore, gaz et pétrole de schiste.
Mais s’il a lancé le chantier Sonatrach 2030 dont l’objectif est d’accroître la production en réformant en profondeur la société, ce qu’a fait l’homme importe moins pour la rue que ce qu’il représente : un des maillons forts d’un système honni.
Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et énergie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).