Au Ghana, un insecticide de troisième génération pour lutter contre le paludisme
Au Ghana, un insecticide de troisième génération pour lutter contre le paludisme
Par Dylan Gamba (Obuasi, Ghana, envoyé spécial)
« CARNET DE SANTÉ ». En 2017, 7 millions de Ghanéens ont été infectés et 11 000 sont morts. A la veille de la journée mondiale de lutte contre la maladie, reportage à 150 km d’Accra.
L’ONG ghanéenne AGALMal procède à une campagne de pulvérisation d’insecticide avant la période de reproduction des moustiques, vecteurs du paludisme, dans l’ouest du Ghana. / Dylan Gamba
Elizabeth Bonsu attend devant sa maison sur une petite chaise de bois. La septuagénaire a disposé devant elle tous ses ustensiles de cuisine et quelques sacs de nourriture. A l’intérieur de la modeste bâtisse de deux pièces, Patrick Dieudonné s’active. Après avoir recouvert les vêtements et les meubles d’un épais drap blanc, le salarié d’AGALMal pulvérise un produit sur les murs.
Depuis 2006, l’ONG ghanéenne a mis en place un programme d’épandage d’insecticides à Obuasi, une cité minière située à 150 km au nord-ouest de la capitale, Accra, et dans deux régions du nord du pays pour lutter contre un adversaire qui mesure seulement 3 mm mais qui provoque des ravages : l’Anopheles gambiae. Ce moustique est l’un des principaux vecteurs de transmission du paludisme, maladie toujours mortelle dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur les 29 millions d’habitants que compte le Ghana, quelque 7 millions sont infectés et environ 11 000 sont morts des suites de la maladie durant la seule année 2017.
Résistance des insectes
Combinaison épaisse, gants en latex et masque de protection, Patrick Dieudonné sue à grosses gouttes. Son pulvérisateur d’une vingtaine de kilos sur le dos, il asperge chaque recoin de la maison d’Elizabeth Bonsu. En dix minutes c’est fait ! Une légère odeur imprègne les lieux que les occupants ne pourront rejoindre qu’après deux heures. « Avant, j’étais souvent malade à cause du paludisme, mais plus maintenant », témoigne la septuagénaire, habitante de Kwamedukrum, un quartier populaire d’Obuasi, où la majorité des résidents vivent de l’agriculture. « Nous avons des ambassadeurs qui viennent régulièrement sur les lieux pour discuter avec les populations et les chefs locaux afin qu’ils acceptent la pulvérisation de l’insecticide. C’était compliqué au début, mais c’est beaucoup plus facile maintenant qu’ils peuvent constater les résultats », estime Mark Anthony Naah-Boye, responsable de la communication de l’ONG. La septuagénaire, elle, a dit « oui » dès 2006.
Un peu plus loin, Karim Koberi, un Togolais de 55 ans qui a élu domicile à Obuasi il y a vingt-cinq ans, attend lui aussi l’épandage, convaincu par le bouche-à-oreille. « J’ai vu que c’était efficace et qu’il y avait beaucoup moins de moustiques alors j’ai naturellement accepté », témoigne-t-il. Le programme d’épandage d’AGALMal, lancé chaque année à la mi-mars, doit se poursuivre jusqu’au mois de juin. « Chaque moustique, qui a une espérance de vie d’environ quatre semaines, peut pondre jusqu’à 700 œufs, il est donc impératif de limiter la population avant la saison des pluies, qui a lieu en juillet et en août au Ghana », souligne l’entomologiste Kwame Dessewy de l’ONG.
En 2018, le Ghana a été le premier pays d’Afrique à tester à grande échelle un insecticide de troisième génération. Et les résultats sont là. « Le produit que nous utilisons, le clothianidin, est pour l’instant efficace à 100 % », avance Kwame Dessewy. Dans son laboratoire, dans les locaux d’un ancien site minier, le scientifique teste la résistance des insectes aux différentes formules répulsives. « Si un seul moustique survit à l’épandage, il développe des anticorps qui seront transmis aux générations futures et il faut dès lors changer de produit », poursuit-il. Depuis 2006, AGALMal a changé tous les trois ans la formule chimique pour éviter l’auto-immunisation des moustiques.
Faire des choix
L’ONG axe également son action sur la sensibilisation, rappelant qu’il « ne sert à rien de traiter une maison si les locataires sortent le soir en short, au moment où les moustiques sont les plus virulents », souligne Mark Anthony Naah-Boye. En ce lundi matin de mars, il se retrouve devant une trentaine de militaires de l’opération Vanguard, qui, eux, luttent contre l’orpaillage illégal. « Si vous avez certains symptômes, comme une forte fièvre ou des vomissements, il faut aller directement à l’hôpital afin de procéder à une prise de sang », évoque-t-il devant l’assistance. La maladie doit en effet être traitée au plus tôt.
Grâce aux aides apportées par le géant minier AngloGold Ashanti et aux apports du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et de quelques donateurs privés, l’ONG AGALMal peut « dépenser chaque année 8 millions de dollars [7,11 millions d’euros] pour ce programme d’épandage ? mais aussi pour les moustiquaires, que nous donnons », souligne Samuel Asiedu Agyei, le directeur de l’association.
« Il nous faudrait autour de 100 millions de dollars pour couvrir l’ensemble du pays, alors nous devons faire des choix sur les zones à couvrir », poursuit-il. Depuis 2012, l’ONG se concentre sur l’extrême nord du pays, à la frontière avec le Burkina Faso. Une région pauvre, essentiellement rurale, dépourvue des infrastructures de santé. Mais il aimerait faire plus et mieux, rappelant au passage qu’« il est frustrant d’avoir les solutions mais de ne pas pouvoir les mettre en œuvre à cause de problématiques financières ».
Sommaire de notre série « Carnet de santé »
Chaque mercredi, Le Monde Afrique propose une enquête, un reportage ou une analyse pour décrypter les avancées des soins et de la prévention sur le continent.