En Côte d’Ivoire, le taekwondo est devenu le deuxième sport national après le football
En Côte d’Ivoire, le taekwondo est devenu le deuxième sport national après le football
Par Youenn Gourlay (Abidjan, correspondance)
Grâce aux performances de certains athlètes ivoiriens et à ses valeurs éducatives, l’art martial sud-coréen passionne la classe moyenne et les élites du pays.
Les jeunes Ivoiriens commencent le taekwondo de plus en plus tôt. En 2018, les principaux inscrits avaient entre 4 et 6 ans. / YOUENN GOURLAY
Isaac n’a que 10 ans, mais déjà l’attitude d’un grand. Sur l’un des tapis de la salle polyvalente de la commune de Treichville, à Abidjan, le jeune taekwondoïste impressionne. Sautillant et dynamique, il défie d’abord chacun de ses adversaires d’un regard noir puis passe à l’action. Accompagné du « kiap », le petit cri offensif précédant le mouvement, il enchaîne sans répit les coups de pieds de face et de dos sur le plastron ou le casque adverses.
En face, ses petits adversaires semblent complètement déboussolés. Isaac remporte ses matchs avec une facilité déconcertante, puis prend le temps de saluer, droit comme un « i », les différents acteurs du combat : arbitres, entraîneurs et concurrent. « J’ai la hargne, lance timidement l’enfant après l’un de ses combats. Le taekwondo, ça me permet de me défouler. »
Ce jour-là, plus de 500 jeunes de tous les niveaux, de tous les poids et de toutes les catégories sont venus s’affronter pour remporter la médaille d’or, mais surtout faire partie de l’équipe nationale. « Sur ce genre de compétition, ils combattent du matin au soir. Ça nous permet de les tester et de voir leur endurance, explique Jean-Luc Ayewouadan Adjemel, arbitre national. A l’issue de la journée, on recense donc les meilleurs pour constituer une équipe nationale et affronter les athlètes à l’étranger. Notre but aujourd’hui, c’est de préparer la relève de Cheick Cissé et de Ruth Gbagbi. Et je peux vous affirmer qu’elle est assurée. »
Un succès impressionnant
Le premier n’est autre que l’unique champion olympique ivoirien de taekwondo. C’était lors des JO de 2016 à Rio de Janeiro. Le triple champion d’Afrique de 26 ans remportait alors la seule médaille d’or olympique de son pays dans la catégorie des moins de 80 kg. Sa compatriote Ruth Gbagbi, 25 ans, a, elle, décroché la médaille de bronze lors de ces mêmes jeux dans la catégorie des moins de 67 kg. L’Abidjanaise deviendra même championne du monde l’année suivante au pays du taekwondo, en Corée du Sud. Les deux athlètes, en grande préparation pour les championnats du monde qui se déroulent à partir du 15 mai à Manchester, en Angleterre, ont bénéficié de bourses pour s’entraîner en Espagne. Et font rêver les plus jeunes.
L’Ivoirien Cheick Cissé (ici à droite face au Tunisien Oussama Oueslati) a été sacré champion olympique de taekwondo dans la catégorie des moins de 80 kg lors des JO de 2016 à Rio de Janeiro. / ED JONES / AFP
Dans la salle polyvalente, Christopher Agbidi vient lui aussi de remporter la médaille d’or chez les juniors. Il est formel : il veut ressembler au « grand Cheick Cissé et faire mieux encore ». Le jeune homme de 17 ans compte passer son baccalauréat en fin d’année puis se consacrer pleinement à l’art martial. « Ce sport me passionne depuis l’âge de 6 ans. J’ai les capacités, la volonté. Je sais que je peux réaliser mes rêves, voyager et devenir un grand taekwondoïste ivoirien », précise-t-il.
Le succès du taekwondo est impressionnant. En dix ans, le nombre de licenciés est passé de 16 000 à 40 000 personnes, faisant de l’art martial le deuxième sport du pays, devant l’athlétisme et le basket. Et à en croire le petit monde de ce sport à Abidjan, l’homme providentiel se nomme Daniel Cheick Bamba. L’ancien ministre de l’intérieur de 2006 à 2007 et grand passionné de taekwondo, à la tête de la fédération depuis 2009, a mis en place de nombreuses réformes de professionnalisation et de démocratisation de l’art martial.
L’Ivoirienne Ruth Gbagbi (ici à gauche face à l’Egyptienne Seham El Sawalhy) a décroché la médaille de bronze de taekwondo dans la catégorie des moins de 67 kg lors des JO de 2016 à Rio de Janeiro. / KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP
Aujourd’hui, 355 clubs sont répartis dans toutes les régions du pays. « Il n’y a pas de peuple qui n’ait pas de sport de combat. Pour certains, c’est la boxe, la lutte ou l’escrime. Ça attire toujours du monde, ça impressionne. Pour nous, c’est le teakwondo qui s’est imposé », observe-t-il. Le sport est discrètement arrivé sur le sol ivoirien grâce au grand maître sud-coréen Kim Young Tae, spécialement venu en Côte d’ivoire en 1968 pour former des maîtres ivoiriens. « Et si désormais il plaît, c’est parce qu’il est accessible et olympique. Les sportifs préfèrent aller vers un art martial qui peut les couvrir de gloire », assure le président de la fédération, qui supervise de près la construction du Palais du taekwondo, futur nid de champions, financé en partie par la Corée du sud et qui sera inauguré en décembre.
Un outil éducatif
Il a quand même fallu un peu de temps pour « anoblir le taekwondo ». Au début, l’art martial pieds-poings était perçu comme un sport de voyou ou de bagarreur. « On a dû convaincre les familles, se souvient M. Cheick Bamba. Mais c’est de l’histoire ancienne car, aujourd’hui, le sport est pratiqué à tous les niveaux. Toute une génération de hauts cadres ivoiriens est même taekwondoïste dans l’armée, la police, la gendarmerie, chez les universitaires. Et même parfois parmi les plus hauts placés, comme le président de la Cour suprême, les ministres et le chef de l’Etat, qui ont eux-mêmes pratiqué ce sport. Forcément, ça rassure. »
Les parents se sont donc peu à peu tournés vers cette nouveauté et voient cet art martial comme un outil éducatif. « Le taekwondo, c’est la discipline, le courage, le goût de l’effort, le respect de la hiérarchie et le développement harmonieux du corps », estime Karim Ouattara, qui a poussé ses deux fils sur les tapis.
Fatou Koné a elle aussi inscrit ses trois enfants « turbulents » à la fin de l’année 2018. « C’est le sport parfait. Ils évacuent le stress et la colère qui sont en eux », constate la maman qui songe à s’inscrire elle aussi. Mais si le sport touche de plus en plus de monde, « il se pratique pour l’instant surtout dans la classe moyenne », juge Olivier Avoa, président de la ligue de Cocody. Dans ses clubs, il faut débourser pas moins de 200 000 francs CFA (300 euros) par an pour la compétition. Ce qui n’est pas à la portée de tous dans un pays où le SMIC est de 60 000 francs CFA (90 euros) par mois.