Une mère et son enfant de 2 ans à Kaduna, au Nigeria, en novembre 2015. / AMINU ABUBAKAR / AFP

Aux premières contractions, Otunba Oduntan n’a qu’une seule idée : transporter les femmes enceintes vers la salle… de culte. Là, il les invite à s’asseoir sur un banc de bois, puis lance des coquillages dans une assiette. Une façon, prétend-il, d’entrer en contact avec Dieu. « Lorsque je regarde la disposition des coquillages, Dieu me dit si ma patiente est prête à accoucher », ajoute l’homme.

Depuis qu’il a eu une « révélation », il y a trente-sept ans, en priant à l’intérieur d’une église, il s’est consacré à l’accouchement traditionnel, une méthode décriée par les experts en santé mais encore largement acceptée au Nigeria. Otunba Oduntan croit dur comme fer qu’une séance religieuse s’impose avant d’accoucher, pour « protéger les mères contre toutes les complications médicales ».

Dans son centre d’accouchement à Ikorudu, à une trentaine de kilomètres de Lagos, il prend en charge une vingtaine de patientes à la fois, pendant toute la durée de la grossesse, sans vraiment utiliser d’équipement médical. Sa salle d’accouchement est équipée d’un simple lit de cuir brun et d’une petite étagère en métal, sur laquelle sont posées des bouteilles en plastique remplies de mélanges médicinaux à base de plantes qu’il cultive dans sa cour intérieure.

Complications et contaminations

Otunba Oduntan l’ignore de toute évidence, mais ses méthodes – qui sont aussi celles de tant d’autres accoucheurs traditionnels – sont l’une des principales raisons pour lesquelles le Nigeria est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les parturientes. Si en France 85 femmes meurent chaque année des suites d’une grossesse ou d’un accouchement, au Nigeria ce chiffre était de 58 000 en 2018 (soit 159 par jour).

Le pays représente pas moins de 19 % des mortalités maternelles dans le monde, selon un rapport conjoint de la Banque mondiale et d’institutions onusiennes de 2015. Que ce soit à la maison ou dans un centre d’accouchement traditionnel, un très grand nombre de femmes meurent de complications lors de l’accouchement ou des suites d’une contamination, parce qu’elles donnent naissance dans des lieux non stériles.

« Les accoucheurs traditionnels ne sont pas qualifiés. Certains ne savent ni lire ni écrire et ne comprennent même pas ce qu’ils font. Ils n’ont jamais été formés et croient qu’ils ont un don pour l’accouchement », regrette Adepuju Jaiyeoba, à la tête de la Brown Button Foundation, qu’elle a montée en 2011. Après la mort d’une de ses amies, cette jeune femme a créé un « kit de maternité » qui contient un coussin, du savon antiseptique, un extracteur de mucus, du désinfectant et une dizaine d’autres produits stériles. Depuis, elle le distribue à travers tout le Nigeria.

Encouragements de Barak Obama

Dans un pays où les traditions sont encore bien ancrées, ce kit a le double mérite de sauver des vies sans bousculer les croyances. En cinq ans, plus de 520 000 trousses ont été utilisées dans 346 communautés. Adepuju Jaiyeoba a réduit son coût de fabrication et de transport et le propose à 1 600 nairas l’unité (4 euros) aux accoucheurs traditionnels, qui le revendent aux patientes.

A Lagos, dans les bureaux de la Brown Button Foundation, une dizaine de trophées, des distinctions et, surtout, une photo d’elle… avec Barack Obama. En 2014, il l’a invitée à Washington pour la féliciter pour son travail dans un discours axé sur les jeunes leaders africains. « On veut que cette jeune femme sauve encore plus de vies », avait déclaré le président des Etats-Unis.

Peu à peu, le taux de mortalité maternelle recule au Nigeria. Il a décru de 30 % entre 2000 et 2015, notamment grâce à l’amélioration des soins hospitaliers et quelques politiques publiques pour encourager les familles à choisir les hôpitaux. Mais de nombreux Nigérians les évitent encore, même s’ils connaissent les dangers d’accoucher à la maison et en milieu traditionnel, selon Adepuju Jaiyeoba : « Justement parce que c’est dangereux, les femmes vont choisir l’accouchement traditionnel, parce qu’elles croient que seul Dieu sera en mesure de les protéger. C’est un cercle vicieux. » Un cercle que le kit de maternité veut rompre doucement.

Sommaire de notre série « Carnet de santé »

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