Jeu vidéo : le Stadia de Google a encore des progrès à faire pour convaincre les joueurs
Jeu vidéo : le Stadia de Google a encore des progrès à faire pour convaincre les joueurs
Par William Audureau
ANALYSE. Google a levé le voile jeudi sur les deux offres de sa plate-forme de jeu en nuage, Stadia Pro et Stadia Base, prenant à revers tous ceux qui s’attendaient à un modèle à la Netflix.
Phil Harrison, directeur de la division jeu vidéo de Google, présente la manette Stadia, en mars 2019. / JOSH EDELSON / AFP
Google ne perd pas le nord, mais a déboussolé les joueurs. Jeudi 6 juin, la firme de Mountain View a annoncé la sortie en novembre de son service Stadia, sous la forme d’un pack optionnel à 130 euros intégrant manette et récepteur télé, et des deux offres prévues à terme pour pouvoir y accéder.
Cette prise de parole avant l’E3, le Salon du jeu vidéo de Los Angeles (du 11 au 14 juin), ancre désormais l’entreprise emblématique du Web dans la réalité du marché du jeu vidéo, avec un calendrier et une proposition commerciale concrète. Mais, paradoxalement, elle a soulevé autant d’intérêt que d’incompréhensions.
Stadia Connect 6.6.2019 - Pricing, Game Reveals, Launch Info & More
Durée : 25:55
Déjà un acteur écouté
Sur au moins deux plans, Google aura réussi son pari. Le premier est de se positionner comme un acteur légitime d’un secteur très codifié. En recrutant largement parmi des vétérans du secteur (Phil Harrisson, Jade Raymond), en se calant dans les grands moments de la vie médiatique du jeu vidéo (vidéoconférence à la Nintendo, annonces en amont de l’E3) et en mettant en avant des suites de séries historiques (Baldur’s Gate III) et des partenaires bien implantés (Ubisoft, Electronic Arts, Rockstar, Activision Blizzard…), Stadia s’est d’ores et déjà placé non en rupture, mais en continuité avec l’industrie.
La seconde victoire est celle de l’attention. Bien sûr, il est plus aisé de s’appeler Google que Shadow ou Blacknuts, deux pionniers français moins connus du « cloud gaming », quand on veut attirer à soi la lumière. Mais sa communication en plusieurs temps – annonce en mars, détails du lancement en juin – rythment déjà cette année d’actualité du secteur. Et l’E3 qui s’ouvre devrait être riche en nouvelles annonces sur la plate-forme du géant du Web. Au point, quasi miraculeux, d’occulter médiatiquement le no 1 des consoles de salon, Sony, exceptionnellement absent de cet E3.
Mais c’est une chose d’être considéré comme un nouvel acteur légitime et écouté, et une autre de convaincre la population joueuse de l’intérêt de son produit. Microsoft, qui avait raté dans les grandes largeurs l’annonce de sa Xbox One, en 2013, en sait quelque chose. Or Google peine à faire passer un message compréhensible avec Stadia. A l’issue de sa vidéoconférence, de nombreux internautes avaient ainsi compris de travers le fonctionnement de son offre et ses implications, et difficile de ne pas blâmer Google lui-même.
PlayStation Plus davantage que Netflix
Le fournisseur de Stadia a annoncé deux offres, et c’était sûrement une de trop. La « pro », lancée en novembre à 10 euros par mois, assurera un accès au service dans les meilleures conditions techniques avec un accès gratuit à un jeu, Destiny 2. La « base », attendue en 2020, sera, elle, accessible sans abonnement et permettra de jouer en nuage dans des conditions standard. Dans les deux cas, il faudra acheter chaque jeu à l’unité pour pouvoir en profiter.
Premier problème : à l’heure de l’omniprésence des offres en illimité à la Netflix, OCS, Deezer ou Spotify, difficile de comprendre à quoi servira un abonnement ne donnant aucun accès total à un catalogue. C’était ce sur quoi Google était attendu, mais les probables réticences des éditeurs l’ont obligé à revenir à un modèle mixte, finalement plus proche des services PlayStation Plus et Xbox Live Gold : pour 10 euros par mois, l’abonné achète le droit à des réductions et quelques offres découverte temporaires, pas plus.
Celle-ci vise, à l’évidence, les joueurs exigeant de la 4K et un niveau de fluidité extrêmement élevé – le type même de public déjà équipé en PlayStation 4 Pro ou Xbox One X, et pour lequel une offre supplémentaire cantonnée à un seul jeu ferait difficilement sens, à part pour le plaisir de jouer sur n’importe quel écran.
Les trois coloris de la manette Stadia. / Google
L’offre de base, lancée en 2020 plutôt qu’en 2019, semble dès lors la plus attractive. Certes, elle n’assure pas la définition d’image la plus élevée, mais elle ne suppose aucun abonnement, et permet d’accéder à ce qu’est fondamentalement Stadia : une boutique de jeu vidéo payante, mais qui fait tourner elle-même les jeux.
Annoncer deux offres différentes, en mettant en avant la pro, a pu entretenir la confusion avec le modèle Netflix. A sa décharge, Google pouvait difficilement se contenter d’un type d’abonnement unique sur une technologie aussi ambitieuse et dépendante de la qualité des canaux.
En segmentant l’offre par qualité d’image, et donc de type de connexion, le géant de l’Internet adapte son programme aux contraintes de chacun, et optimise ses chances d’offrir une expérience correcte à tous. Avec des interrogations persistantes sur l’efficacité de l’infrastructure actuelle et sur le coût environnemental d’un tel système.
Un catalogue encore très mince
Reste un dernier point de la communication de Google : le catalogue de jeu. Celui-ci comprendra une trentaine de titres au lancement, comme Dragon Ball Xenoverse 2, DOOM Eternal, Farming Simulator 3, Football Manager, la trilogie Tomb Raider, Final Fantasy XV ou encore Assassin’s Creed Odyssey. Nombre de ces jeux sont d’excellente qualité, et la promesse d’y jouer aussi bien sur téléviseur que dans son navigateur souffre peu de comparaisons avec le modèle de consommation classique. Mais aucun n’est exclusif à Stadia.
Stadia propose plusieurs jeux également annoncés sur consoles classiques, se posant ainsi en alternative. Mais le service n’a pas encore d’exclusivité forte. / Stadia
Quiconque espérerait remplacer son support de jeu actuel par l’offre de Stadia serait, à court terme, et sur la stricte question du catalogue, plutôt perdant. A la fois pour un joueur PC, qui troquerait la quasi-exhaustivité de Steam contre une plate-forme quantitativement très limitée, que pour un joueur console, qui abandonnerait certaines des meilleures productions de ces dernières années, comme Uncharted 4 et God of War sur PlayStation 4, ou la série Forza Horizon sur Xbox One. Oui, Stadia fait bien disparaître les consoles. Mais pour l’utilisateur, il fait aussi disparaître aussi leur plus-value.
Bien sûr, cette situation n’est pas amenée à se prolonger éternellement. A l’E3, bien d’autres jeux devraient être annoncés sur Stadia, et remplir progressivement son catalogue afin de lui donner plus fière allure, d’ici à 2020. Par ailleurs, Google a monté une division de production interne, qui, à terme, devrait apporter à Stadia les exclusivités marquantes dont elle a besoin.
L’un dans l’autre, Stadia demeure une promesse technologique impressionnante, mais son offre commerciale autant que sa communication ont encore des progrès à faire pour convaincre les joueurs. Google donne parfois l’impression d’avoir voulu dégainer trop tôt. L’entreprise semble surtout se préparer à une adaptation lente et progressive de sa plate-forme, et travaille ses prises de parole en fonction.